Sommes-nous dans une bulle spéculative ?
Des mastodontes de la tech, comme Microsoft et Meta, aux entrepreneurs milliardaires comme Elon Musk, en passant par les fonds de capital-risque les plus prestigieux au monde tels que Andreessen Horowitz ou Index Ventures, des dizaines de milliards d’euros sont investis dans toute initiative qui touche de près ou de loin à l’Intelligence Artificielle. Car l’IA promet de “disrupter” le monde tel que nous le connaissons en décuplant la productivité des entreprises et des hommes.
Sans contester le potentiel des innovations technologiques en cours, certains estiment que nous entrons dans une bulle spéculative, où les valorisations de certaines entreprises, notamment dans le domaine de la tech, se détachent dangereusement de la réalité.
Les marchés financiers adorent les histoires. Celle des “bulles spéculatives” est sans doute la plus vieille fable moderne de l’économie : elle parle d’espoir, de cupidité, d’aveuglement collectif… et, souvent, de réveil brutal.
Si le terme évoque pour vous un mélange de trading frénétique et de krachs mémorables, c’est plutôt bon signe : vous avez déjà flairé l’idée générale. Mais encore faut-il comprendre ce qui fait une bulle, pourquoi elle gonfle – et surtout, pourquoi personne ne sait jamais quand elle éclatera.
Qu’est-ce qu’une bulle spéculative ?
Une bulle spéculative se forme lorsque le prix d’un actif – qu’il s’agisse d’une action, d’un bien immobilier ou d’une cryptomonnaie – grimpe bien au-delà de sa valeur réelle, autrement appelée “valeur intrinsèque”. En clair, le marché se déconnecte de la réalité économique.
Derrière cette envolée des prix, un mécanisme bien connu : la spéculation. Les investisseurs achètent non plus parce qu’ils croient en la performance ou le rendement de l’actif, mais parce qu’ils s’attendent à le revendre plus cher, rapidement. C’est alors que le mot “raison” quitte la salle, et que l’émotion – souvent l’euphorie – prend le relais.
La Banque de France résume le phénomène en quatre étapes :
- Une phase de gestation, où l’optimisme alimente la hausse.
- Une naissance, quand de nouveaux investisseurs imitent les premiers.
- Une euphorie, où la hausse s’auto-alimente et les valorisations s’envolent.
- Puis… une explosion. Quand tout le monde réalise que le roi est nu, les prix s’effondrent et le système s’ajuste.
Des bulles, il y en a toujours eu
L’histoire économique est truffée d’exemples. La tulipomanie au XVIIᵉ siècle est la première bulle documentée : en Hollande, parmi les élites, une mode s’installe qui consiste à avoir des tulipes rares. Le prix des bulbes se met à gonfler et certains bulbes de tulipes rares se sont vendus plus chers qu’une maison. Jusqu’à ce que la mode passe et plus personne ne soit prêt à payer ce prix.
Deux siècles plus tard, c’est la bulle des mers du Sud (1720) en Angleterre : la South Sea Company promettait monts et merveilles grâce au commerce transatlantique, avant que la confiance ne s’évapore et que Londres ne plonge dans la ruine.
Au XXᵉ siècle, les excès se sont modernisés : la bulle du krach de 1929, alimentée par le crédit facile, a fait vaciller le monde ; la bulle Internet, à la fin des années 1990, a vu les valorisations de nombreuses start-ups sans revenus grimper jusqu’aux étoiles ; et la crise des subprimes de 2008 a rappelé que même la pierre n’est pas à l’abri d’une démesure financière.
Ces épisodes ont un point commun : tous ont été nourris par la même émotion collective – la persuasion que “cette fois, c’est différent”. Le “this time, it’s different”, dans le langage de Shakespeare.
Pourquoi parlons-nous à nouveau de bulle aujourd’hui ?
En 2025, l’idée refait surface. L’inflation reflue, les taux remontent, les marchés boursiers affichent des sommets historiques, et les plateformes d’investissement n’ont jamais été aussi fréquentées. Autant d’indices qui rappellent que le climat est propice… à un excès d’optimisme.
Des marchés boursiers euphoriques
Les grands indices mondiaux flirtent avec des records : les actions liées à l’intelligence artificielle, aux semi-conducteurs et à la technologie plus largement se paient à des multiples stratosphériques. Certains observateurs parlent d’une “bulle de l’IA”.
Peut-être : les valorisations tiennent davantage sur des promesses d’avenir que sur des bénéfices concrets. Car il faut bien reconnaître que la plupart de ces acteurs, comme OpenAI, propriétaire de ChatGPT, sont encore loin de la rentabilité. Et pourtant, les investisseurs continuent d’y injecter des milliards d’euros, portés par la conviction que la révolution technologique justifie tous les excès.
Les ingrédients d’une bulle spéculative
Toutes les bulles obéissent plus ou moins à la même recette :
- Des liquidités abondantes : les périodes de taux bas facilitent le crédit et stimulent l’investissement.
- Une innovation séduisante : tulipes rares, chemins de fer, Internet, intelligence artificielle… chaque époque croit avoir découvert la pépite du siècle. Souvent, ces innovations ont bien eu un impact conséquent sur l’économie mondiale… mais parmi la multitude d’acteurs qui se sont lancés dans ces domaines, seuls quelques acteurs s’installent durablement dans le temps.
- Un sentiment de sécurité collective : “ça a toujours monté, pourquoi ça s’arrêterait”. Il y a là sans doute un aspect psychologique, qui fait que les investisseurs adoptent souvent des comportements de masse, qui sont de nature à les rassurer. Par ailleurs, se tenir à l’écart d’une tendance haussière peut coûter cher en coût d’opportunité, tant que la bulle spéculative n’éclate pas. Ce second phénomène stimule le FOMO, pour “Fear Of Missing Out”, ou la peur de passer à côté d’une opportunité de gain.
- Une absence de mémoire financière : les générations changent, les erreurs se répètent.
Lorsqu’un marché s’emballe, le danger ne vient pas seulement des excès. Il vient du fait que, plus un prix monte, plus il semble confirmer la théorie selon laquelle il devrait continuer à monter.
Sommes-nous vraiment “en” bulle ?
C’est la grande question – et la plus délicate. Définir une bulle spéculative en temps réel revient à essayer de deviner la température de l’eau pendant qu’elle chauffe : on peut dire qu’elle est tiède, mais on ne sait pas quand elle sera bouillante.
La valeur “normale” ou “juste” d’un actif dépend d’attentes futures : croissance, profits, innovation, politique monétaire… Autrement dit, elle dépend de l’avenir, que personne ne connaît. Ce qui semble excessif aujourd’hui peut paraître raisonnable demain, si les perspectives se confirment.
Les économistes eux‑mêmes peinent à s’accorder. Certains parlent de bulles rationnelles, d’autres de bulles irrationnelles. Les premières supposent que les investisseurs sont conscients du risque, mais qu’ils continuent d’acheter tant que la musique joue ; les secondes reposent sur la croyance pure et dure, la foi dans la hausse éternelle.
Pourquoi il est impossible de prédire l’éclatement d’une bulle
Les bulles se nourrissent de psychologie, pas de statistiques. Et la psychologie humaine, on le sait, est tout sauf prévisible.
Le timing, un mystère total
Prenons la bulle Internet : les signes de surchauffe étaient visibles dès 1998, mais il a fallu plus de deux ans avant que le marché ne s’effondre. De même, la crise immobilière de 2008 a été précédée d’années d’alertes ignorées.
Une bulle ne crève pas à cause d’un chiffre économique ; elle éclate quand la confiance s’évapore. Et celle-ci est une matière première éminemment instable.
Les acteurs changent les règles du jeu
Les banques centrales, en intervenant massivement (ou pas) dans les marchés, modifient la durée de vie des bulles. Les politiques de taux bas peuvent retarder l’éclatement en maintenant artificiellement la liquidité. De même, les innovations technologiques ou comptables peuvent justifier temporairement des valorisations folles avant de se révéler… simplement trop optimistes.
Après la bulle, la bulle suivante
L’économie a la mémoire courte : après chaque krach, vient une nouvelle expansion. Ce cycle, qu’on appelle parfois “boom and bust”, est presque organique. Les bulles, aussi destructrices soient‑elles, participent d’un mouvement naturel : elles financent l’innovation, attirent les capitaux, redistribuent la richesse – et, paradoxalement, préparent la reprise suivante.
Comment reconnaître les signes avant-coureurs ?
Sans être devin, on peut observer quelques signaux qui laissent soupçonner la présence d’une bulle spéculative :
- Des prix en forte hausse sans lien direct avec la croissance des profits ou des revenus.
- Un discours dominant du type “cette fois, c’est différent”.
- Un afflux d’investisseurs novices et une médiatisation intense.
- Des justifications floues ou trop optimistes : “c’est l’avenir, forcément”.
- Une volatilité élevée couplée à un sentiment d’invulnérabilité sur les marchés.
Si plusieurs de ces symptômes s’accumulent, mieux vaut garder la tête froide et diversifier ses placements. Ce n’est pas une garantie anti-bulle, mais c’est un vaccin efficace contre les excès de confiance.
Alors, faut-il s’inquiéter ?
Oui et non. Oui, parce que certaines valorisations flirtent avec l’irréalisme ; non, parce que le système financier lui-même est plus encadré qu’autrefois. Les banques centrales surveillent étroitement les leviers de crédit, les ratios de solvabilité et la stabilité systémique.
Mais aucune politique monétaire ne peut empêcher la nature humaine de rêver – et d’espérer des gains rapides. Tant que les marchés resteront faits d’humains, les bulles feront partie du paysage.
Comment naviguer dans un marché potentiellement en bulle
Chez Cashbee, on aime rappeler que le meilleur outil de défense contre les emballements du marché, c’est la discipline. Autrement dit :
- Ne pas investir dans ce qu’on ne comprend pas. Et sur ce point, en cas d'incertitude, surtout n'hésitez pas à faire appel à des experts. Les nôtres sont toujours à votre disposition.
- Éviter de suivre les modes ou les conseils de comptoir.
- Rester diversifié (assurance vie, fonds équilibrés, livrets réglementés...).
- Et surtout, accepter qu’en bourse, le “trop beau pour être vrai” finit souvent par ne plus l’être du tout.
Investir intelligemment, ce n’est pas deviner quand la bulle éclatera ; c’est construire un portefeuille capable d’y résister.
En guise de conclusion
Une bulle spéculative, c’est un miroir amplificateur de nos émotions collectives : la peur de manquer une opportunité, le plaisir de voir nos gains grimper, puis le stress quand tout redescend. C’est l’illustration parfaite de la phrase de l’économiste John Maynard Keynes : “Les marchés peuvent rester irrationnels plus longtemps que vous ne pouvez rester solvable.”
Alors, sommes‑nous dans une bulle spéculative ? Peut‑être. Mais rappelons-nous ceci : personne ne peut le dire avec certitude, pas même les banquiers centraux. En attendant, restons lucides, patients, et laissons les bulles… aux plongeurs.
