France rétrogradée par Fitch : la fin du « double A », et alors ?
Vendredi, la France s’est vue retirer un « double A » par l’agence de notation américaine Fitch. C’est un peu comme se faire retirer sa place en classe avancée, pour revenir avec les bons élèves mais plus tout à fait en tête.
Courte chronique d’un coup de semonce sur les marchés… et analyse de ses implications possibles.
Un événement qu’on pressentait (presque) tous…
Quand Fitch rétrograde la France de AA- à A+, ce n’est pas juste un changement de lettre sur un relevé de notes. C’est plutôt l’équivalent, en langage scolaire, d’un passage de « mention très bien » à « mention bien ». Après avoir été logée parmi les pays les plus fiables du monde, la France se retrouve aujourd’hui avec un 15/20.
Pour rappel, Fitch, aux côtés de Moody’s et Standard & Poor’s, fait partie des grandes agences de notation qui jugent de la qualité de crédit des emprunteurs. Leurs notations reflètent leurs points de vue d’experts indépendants sur la solidité financière d’émetteurs obligataires et la probabilité qu’un emprunt soit remboursé en temps et en heure.
La sanction de Fitch est tombée alors que Matignon vient à peine de changer de locataire – après la chute tourbillonnante du gouvernement Bayrou et l’installation express de Sébastien Lecornu à la tête d’une majorité toujours plus incertaine pour voter le prochain budget.
Cette rétrogradation n’a pas eu d’effet immédiat sur les marchés financiers, car elle était largement anticipée. Pourquoi ?
Les raisons logiques avancées par Fitch
Les agences de notation – Fitch, Moody’s, S&P – sont un peu comme des inspecteurs du Guide Michelin. Mais plutôt que de juger de la qualité d’un chef et de sa brigade, leur mission consiste à évaluer la capacité d’un emprunteur à payer ses intérêts et à rembourser sa dette à échéance.
Et la France, depuis quelques années, accumule les obstacles dans ce domaine. Le pays dépense plus qu’il ne gagne. Ainsi, le déficit public s’accroche à 5,8 % du PIB, et la dette nationale file vers les 121 % du PIB en 2027. Enfin, l’agence souligne que, selon elle, le pays n’offre pas suffisamment de perspectives sérieuses pour voir tout cela se résorber rapidement.
Car, pour ne rien arranger, la scène politique manque de stabilité, voire de sérieux : cinq Premiers ministres en trois ans, débats houleux autour des réformes, et surtout, fragmentation et polarisation entre différents partis politiques qui semblent refuser toute forme de coalition. Pour des observateurs étrangers, on pourrait croire à un match de foot sans arbitre.
Résultat : difficile de voter un budget véritablement restrictif, plus compliqué encore d’imaginer une cure d’austérité budgétaire, pourtant jugée nécessaire pour retrouver une santé financière digne d’un “double-A”.
Fitch observe tout cela, regarde la lenteur des mesures de redressement, et tire la sonnette d’alarme. Dans son rapport, l’agence prévoit que le déficit restera élevé pendant longtemps, trop longtemps sans doute. Ils anticipent donc que les taux d’intérêt vont continuer à grimper, rapprochant la France des rendements italiens.
Or devoir emprunter plus, à des taux plus élevés, augmente le risque (qui reste faible) d’une insolvabilité financière à terme.
La France lâche le peloton de tête
La nouvelle note, A+, met la France un cran sous le Royaume-Uni (AA-), mais très loin des « premiers de la classe » : Allemagne, Pays-Bas, Finlande, Luxembourg, tous auréolés du triple A, version 20/20 sur le bulletin.
Aujourd’hui, on retrouve donc la France aux côtés de la Belgique, de la Chine, de Malte ou encore de l’Arabie Saoudite… Le roman de l’Europe s’écrit toujours à plusieurs vitesses, mais là, la France commence à pédaler en tête du peloton des « bons », mais distancée par les champions.
La France reste malgré tout bien notée – et rassurez-vous, on est encore loin de la catégorie « junk bonds », ou des obligations poubelles, émises par des entreprises ou des pays à la santé financière douteuse, voire même au bord du gouffre.
Mais il n’en reste pas moins que ça change la donne pour les marchés internationaux.
Les conséquences : du marché obligataire à la table de la cuisine
Mécaniquement, plus la note d’un emprunteur baisse, plus le coût de sa dette grimpe. En revanche, le coût exact d’un abaissement de notation d’un cran n’est pas mathématique, il dépend des anticipations des investisseurs, du sentiment de marché général et du niveau auquel ce changement se fait : passer de 20/20 à 18/20 n’est pas la même chose que de passer de 11/20 à 9/20.
Dans le cas présent, le changement annoncé par Fitch fait changer la France de braquet, le pays passant du panier des emprunteurs de la catégorie “double-A” à ceux notés “simple-A”.
Cette décision ayant été largement anticipée, les taux d’intérêt des obligations françaises se sont déjà écartés (voire envolés) par rapport à ceux de l’Allemagne ou des Pays-Bas. À 10 ans, la France emprunte désormais à un taux supérieur de 0,80% par rapport à ces deux pays. Appliqué à des dizaines de milliards d’euros, ça pèse lourd !
La hausse du coût de la dette pourrait se poursuivre
L’État français devra débourser davantage pour financer ses déficits. Ce qui peut conduire à une spirale infernale où le pays est obligé d’emprunter de plus en plus, ne serait-ce que pour payer des intérêts de plus en plus élevés.
Ajoutez à cela la perspective d’une réaction en chaîne, car Moody’s ou S&P doivent rendre leurs verdicts en octobre et pourraient suivre le mouvement. Si la France tombait alors également dans la catégorie du “simple-A” chez ces agences de notation, certains investisseurs pourraient même être obligés, par leur règlement, de vendre une partie de leurs titres français. Ces ventes forcées ne feraient que stimuler plus encore la hausse des rendements sur les OAT (pour Obligations Assimilables du Trésor, le nom donné aux obligations émises par la France).
Et alors ?
Impact sur le coût d’emprunt des ménages et des entreprises
Le niveau auquel la nation emprunte a des conséquences directes sur le niveau auquel les banques peuvent emprunter. Si les banques doivent payer leurs financements plus cher, elles se verront forcées de facturer plus pour l’argent qu’elles prêtent aux ménages et aux entreprises.
Au quotidien, cela peut signifier : taux d’intérêt plus élevés pour les crédits à la consommation ou pour les emprunts immobiliers.
Mais rassurons-nous : pour le moment, les marchés n’ont pas cédé à la panique. Les investisseurs avaient déjà intégré cette baisse possible. On évite donc les scènes de film catastrophe sur la place de Paris !
Impact sur les impôts ?
N’oublions pas qu’une hausse des taux d’intérêt signifie que la France doit trouver des recettes supplémentaires pour payer ses intérêts et continuer à rembourser ses dettes.
Une des solutions pour arriver à cet objectif est d’augmenter les impôts.
Le budget : jeu d’équilibristes et compromis politiques
Ce qui inquiète véritablement Fitch – et avouons-le, les économistes aussi – ce n’est pas qu’un problème d’arithmétique budgétaire. C’est avant tout la capacité de l’appareil politique à prendre les décisions difficiles. Avec cinq chefs de gouvernement en trois ans, s’entendre sur les réductions des dépenses ou sur une vraie réforme fiscale tient du numéro de jonglage.
Le nouvel horizon ? Le prochain vote du budget, où tout le monde attend impatiemment le grand déballage des compromis : plus d’impôts pour les ménages fortunés, moins de rigueur sur les retraites ? Il va falloir plaire aux socialistes sans trop fâcher la droite. Pas simple de contenter tous les convives à la table …
Éclaircie inattendue : les champions tricolores empruntent mieux que l’État
Petit clin d’œil ironique sur la situation : un nombre croissant de grands groupes français – pensez à LVMH, Sanofi ou Schneider Electric – réussissent à emprunter sur les marchés à des taux inférieurs à ceux de l’État français lui-même.
Oui, vous avez bien lu : le « père de famille » est considéré plus risqué que les enfants modèles… Les investisseurs préfèrent prêter à des multinationales stables, diversifiées et profitables, plutôt qu’à un État en proie aux incertitudes politiques.
C’est un renversement inédit, qui dit tout de la confiance (relative) accordée à certains grands groupes, et du regard sceptique posé sur la gouvernance publique.
Ce phénomène rare montre à quel point les marchés sont sensibles à la stabilité politique et aux trajectoires budgétaires claires. Moralité : la diversification internationale, la solidité des bilans et la réputation des entreprises jouent désormais un rôle plus important que l’appartenance à l’État, traditionnellement perçu comme l’emprunteur le plus sûr.
Et après ? Le « parcours d’obstacles » pour la France n’est pas sans espoir
La décision de Fitch ne marque pas la fin du monde, loin s’en faut. Mais elle place les dirigeants français devant un challenge sérieux : bâtir un budget crédible, retrouver la confiance des marchés, et éviter la spirale des dégradations en cascade.
Moody’s et S&P donneront bientôt leur avis. Si la France devait subir une nouvelle dégradation, cela pourrait amplifier la pression sur les taux, pousser certains fonds à vendre leurs titres, et obliger le gouvernement à revoir plus rapidement ses plans de dépenses.
En résumé, la France n’a pas perdu toute crédibilité. La France reste une économie solide, avec un tissu industriel fort, une démographie dynamique et (soyons optimistes) une capacité à rebondir… Donc aucune raison de paniquer.
Mais il serait imprudent d’ignorer les signaux que nous donne le marché ou de s’imaginer que les opinions des agences de notation ne comptent que pour du beurre.
Cette dégradation par Fitch doit se lire comme un avertissement : la politique compte autant (sinon plus) que les chiffres dans l’opinion des marchés, dont nous sommes financièrement dépendants. Le coût de la dette augmentera si la confiance ne revient pas.
