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La dette privée : classe d’actifs complexe et risquée ou excellent diversificateur ?
De nombreux investisseurs patrimoniaux s'intéressent à la dette privée, qui fait partie des classes d'actifs alternatives qui permettent de diversifier son portefeuille tout en visant des rendements nets élevés. Analysons donc de quoi il s'agit, en revenant sur :
- la définition et le rôle de la dette privée
- les facteurs qui expliquent son développement fulgurant
- les attraits mais aussi les risques associés à ce type de placement.
Le tout sans jargon.
La dette privée représente aujourd’hui plus de 1300 milliards d’euros et est donc devenue en quelques décennies une classe d’actif distincte pour les investisseurs, et une source de financement crédible et profonde pour les entreprises.
De quoi s’agit-il exactement ? Qu’est-ce qui peut expliquer sa croissance fulgurante ? Et est-ce une solution de placement attractive pour un investisseur ? À quels risques s’expose-t-il en y consacrant une partie de son épargne ?
Nos réponses, sans jargon.
La dette privée, expliquée simplement
La dette privée désigne l’ensemble des prêts réalisés par des investisseurs (institutionnels ou privés) directement aux entreprises non cotées en bourse, sans passer par les circuits bancaires traditionnels ou les marchés financiers publics.
Autrement dit, le terme désigne les prêts et autres formes de financement que des acteurs non-bancaires, comme des fonds, peuvent accorder à des entreprises privées, dont les actions ne s’échangent pas en bourse.
Ainsi, la dette privée regroupe différents instruments de financement, parmi lesquels il y a notamment :
- la dette senior, qui est prioritaire au remboursement en cas de défaut ou de faillite de l’emprunteur ;
- la dette mezzanine, qui est une sorte de dette intermédiaire mêlant composantes d’emprunt et d’equity ;
- la dette subordonnée ou junior, où le prêteur sait qu’en cas de difficultés financières de l’emprunteur il ne sera remboursé que lorsque les prêteurs senior auront été pleinement remboursés d’abord.
Ces différents types de prêts sont fréquemment assortis de mécanismes de garantie ou de collatéral, comme des immeubles ou encore des actifs mobiliers que l’emprunteur met en gage contre le financement, afin de réduire le risque en capital pour les prêteurs.
Contrairement à la dette publique – qui correspond typiquement aux emprunts souscrits par l’État et les collectivités –, la dette privée concerne exclusivement les entreprises privées.
Dans la majorité des cas, la dette privée est accordée puis portée par des fonds spécialisés qui collectent des capitaux auprès d’investisseurs (fonds de pension, compagnies d’assurance, family offices, investisseurs avertis, etc.) afin de les prêter à des sociétés ayant des besoins de financement spécifiques et/ou urgents.
Les cas d’usage sont nombreux et parfois complexes, mais on peut notamment penser à des financements dont une entreprise peut avoir besoin pour exécuter une acquisition ou une restructuration financière. Une dette privée peut aussi être requise dans le cadre d’une transmission d'une société, ou pour assurer un refinancement, dans un contexte de taux plus élevé.
Les contrats sont négociés de gré à gré, offrant ainsi une grande souplesse tant au niveau du montant, de la durée, des modalités de remboursement que des garanties sous-jacentes.
La phénoménale ascension du marché de la dette privée
Une réglementation bancaire plus stricte
Le développement du marché de la dette privée est un phénomène marquant de la finance contemporaine. Cette classe d’actifs a connu une croissance accélérée à la suite de la crise financière de 2007-2008, lorsque la régulation bancaire s’est durcie. Cette réglementation bien plus stricte, connue sous le nom de Bâle III, oblige les banques traditionnelles d’adopter des politiques d’octroi de prêt bien plus prudentes. Cette gestion des risques plus stricte a donné lieu à une réduction significative de l’exposition des banques aux entreprises, surtout celles de taille plus modeste (les small et mid-caps) et/ou jugées plus risquées par les agences de notation.
Cela a créé un vide que la dette privée a occupé, apportant des solutions flexibles et sur mesure à un nombre croissant d’entreprises en quête de financement.
L’innovation financière
Ce marché s’est structuré, professionnalisé et a vu apparaître de nouveaux acteurs majeurs tels qu’Apollo et Blackstone, qui furent des spécialistes en capital risque (“private equity” en anglais) et qui ont adapté leur expertise dans ce domaine connexe pour lancer leurs activités de crédit.
Sous leur influence mais aussi sous celle de nombreux fonds dédiés au crédit privé européens et français, le segment s’est élargi à divers instruments et stratégies (direct lending, dette opportuniste, financement immobilier, infrastructure, etc.).
Besoins de financement significatifs
Car malgré le retrait partiel des banques, les besoins de financement demeurent importants. Et les entreprises ont notamment eu, et continuent d’avoir, des besoins de financement précis, tels que le financement immatériel, le financement des opérations de croissance externe, le financement de la transmission de l’entreprise … Parmi les facteurs qui soutiennent la demande, le refinancement d’opérations existantes est particulièrement pertinent, dans la mesure où un très grand nombre d’entreprises a profité de la période de taux bas, voire nuls, d’il y a quelques années pour contracter des emprunts de longue durée. Ces emprunts arrivent à échéance et doivent donc être renouvelés, dans un contexte de taux radicalement différent.
Notons aussi que les entreprises trouvent dans la dette privée une rapidité d’exécution, une souplesse de montage et une confidentialité appréciée, et qui distingue favorablement la dette privée des lourdeurs administratives et de la durée de négociation associés à des emprunts bancaires syndiqués.
Intérêt investisseur
Enfin, l’accroissement de la dette privée s’explique aussi par l’appétit croissant des investisseurs à la recherche de diversification et de rendement, dans un contexte où les obligations d’État offrent des taux relativement bas, depuis plus d’une décennie dans certaines régions.
Un marché qui dépasse les 1300 milliards d’euros
Le marché de la dette privée affiche aujourd’hui un niveau record. En 2024, la taille mondiale du marché est estimée entre 1500 et 1550 milliards de dollars (soit environ 1,350 milliards d’euros). Les projections annoncent une croissance continue, avec un doublement attendu à 3,000 milliards de dollars d’ici 2028, propulsé par des entrées de capitaux institutionnels et le dynamisme des opérations de financement, notamment en Europe et aux États-Unis.
En France comme en Europe, le marché a été multiplié par trois sur la dernière décennie, consolidant la dette privée comme mode de financement incontournable du tissu économique. Rien qu’en 2025, les nouveaux engagements des investisseurs institutionnels pourraient dépasser les 200 milliards de dollars pour la cinquième année consécutive.
Rendements visés par la dette privée
La dette privée se distingue par des rendements historiquement attractifs, supérieurs à ceux des obligations publiques et souvent plus réguliers et résilients que ceux offerts par d’autres classes d’actifs risqués.
Une étude récente montre que le taux moyen de rendement interne (TRI) s’est établi à 9,1% entre 2016 et 2022, avec des projections légèrement à la hausse pour la période 2022-2028.
Naturellement, le rendement varie selon la nature du financement et le niveau de risque assumé :
- Dette senior : Rendement modéré, généralement entre 5% et 7%, avec une priorité de remboursement, donc un risque plus contenu.
- Dette junior / subordonnée : Rendements allant de 8% à 12% pour compenser le risque accru de l’exposition.
- Dette opportuniste ou de type equity-like : Les rendements peuvent dépasser 15%, au prix d’un risque proche de celui du private equity.
En comparaison, les obligations d’État offrent des rendements bien moindres, souvent entre 2% et 3%. La dette privée peut aussi bénéficier, en période de hausse des taux, de la structuration de prêts à taux variable qui procurent une protection partielle contre l’inflation et la remontée des taux de marché.
La performance résiliente de la dette privée s’observe même lors des épisodes de volatilité sur les marchés actions ou obligataires, où les stratégies de direct lending ont généralement mieux résisté grâce à la nature contractuelle des flux et à leur faible corrélation avec les marchés traditionnels.
Évidemment, il est important de souligner que la performance passée n’est pas un bon indicateur de la performance future et que cette classe d’actifs, historiquement résiliente, expose les investisseurs à une possible perte en capital.
Caractéristiques attractives de la dette privée
Pour les investisseurs, la dette privée séduit par plusieurs traits distinctifs :
- Rendement supérieur à la moyenne des actifs obligataires traditionnels, notamment dans l’environnement de taux bas ou modérés.
- Stabilité des performances, avec des coupons réguliers et une volatilité moindre que les actions ou le private equity.
- Diversification accrue pour les portefeuilles institutionnels ou privés : la faible corrélation avec les marchés publics en fait un outil précieux d’optimisation du couple rendement-risque.
Pour les entreprises emprunteuses, la dette privée est synonyme d’accès facilité au crédit, y compris pour les sociétés de taille intermédiaire ou celles qui mènent des projets atypiques (croissance externe, transmission familiale, financement d’investissements immatériels, etc.). Il s’agit tout simplement d’une source de financement alternative aux financements bancaires et obligataires, auxquels toutes les entreprises n'ont pas nécessairement accès en permanence, d’ailleurs.
Les risques inhérents à la dette privée
Toutefois, la dette privée comporte des risques spécifiques qui ne doivent pas être négligés, tant pour les investisseurs que pour les emprunteurs. Nous nous focalisons ici notamment sur les risques qu’assument les investisseurs en dette privée :
- Risque de crédit ou de défaut : L’emprunteur peut ne pas honorer ses obligations (remboursement du principal ou des intérêts). Ce risque est particulièrement marqué pour la dette junior et non garantie. Les périodes de ralentissement économique ou les crises sectorielles peuvent entraîner une hausse des défauts.
- Risque de liquidité : Contrairement aux obligations cotées, la dette privée n’offre pratiquement pas de marché secondaire. L’investisseur doit conserver ses titres jusqu’à l’échéance, soit 5 à 10 ans dans la grande majorité des cas. Cette illiquidité accentue l’exposition au risque en cas de besoin de liquidité inattendu.
- Risque de valorisation : En l’absence de cotation, la valorisation des titres de dette privée repose sur des modèles internes et peut varier selon l’évaluation faite par les différents gestionnaires, ce qui ajoute un niveau d’opacité.
- Risque de documentation et de complexité : Les contrats de prêt ou d’obligations privées sont souvent techniques, peu standardisés et requièrent une analyse experte pour bien appréhender leurs clauses (covenants, sûretés, triggers…).
- Dépendance à la santé financière des entreprises : La performance de la dette privée repose sur la capacité des entreprises à générer suffisamment de revenus pour honorer les échéances. Un environnement économique dégradé, une mauvaise diversification sectorielle ou une crise de gouvernance interne peuvent compromettre les remboursements.
- Risque sectoriel ou de concentration : Les fonds spécialisés peuvent concentrer leurs investissements sur quelques secteurs ou régions, accentuant l’exposition à un risque idiosyncratique.
Une classe d’actifs intéressante pour les épargnants patrimoniaux
La dette privée occupe désormais une place clé dans les stratégies de financement des entreprises et la construction de portefeuilles d’investissement diversifiés. Elle combine des rendements attrayants, une relative stabilité des revenus et une bonne capacité de diversification face à la volatilité des marchés cotés.
Toutefois, son succès rapide s’accompagne de risques notables : illiquidité, risque de défaut, complexité contractuelle et valorisation délicate. Par ailleurs, les fonds de dette privée sont aujourd’hui typiquement accessibles à partir de 100 000 euros. Ce qui marque déjà une importante évolution des dernières années pour rendre cette classe d’actifs accessible à un bien plus grand nombre d’investisseurs individuels.
Mais il n’en reste pas moins qu’il faut donc disposer d'une épargne considérable, afin de pouvoir allouer une partie de celle-ci à cette classe d’actifs risquée et relativement complexe.
Une analyse approfondie, une sélection rigoureuse des gestionnaires et une allocation équilibrée dans le cadre d’une stratégie patrimoniale restent essentielles pour bénéficier du potentiel offert par cette classe d’actifs tout en limitant les aléas qui lui sont propres.
Vous voulez en savoir plus ? N’hésitez pas à contacter nos experts pour échanger sur le sujet.
