Que font les Anglais?

Oct 1, 2022

Le nouveau gouvernement britannique démontre - en quelques semaines - comment il ne faut pas diriger un pays (“How not to run a country”), selon le vénérable magazine The Economist. Le nouveau Chancelier de l'Échiquier, Kwasi Kwarteng, a acquis le surnom Kami-Kwasi, après avoir annoncé son mini-budget, jugé fantaisiste et irresponsable. La Banque d’Angleterre a dû intervenir pour calmer la panique dont ont été pris les marchés financiers. Revenons sur une semaine turbulente pour nos voisins d’outre-Manche.

Une semaine très agitée pour le Royaume-Uni

Tout est allé très vite. Entre le moment où le Chancelier Kwarteng annonce son “mini-budget” (vendredi 23 septembre) et où la Banque d’Angleterre juge qu’elle doit intervenir face à “un risque majeur d’instabilité financière” (mercredi 28 septembre), il y a moins d’une semaine.

Retraçons les grandes étapes de cette dégringolade financière.

Un “mini-budget” peu crédible et inflationniste

En phase avec le programme de relance économique prôné par la nouvelle Première Ministre Truss, le chancelier annonce un plan de relance de l’économie. Pour stimuler la croissance, ce plan prévoit notamment une réduction significative des impôts pour les ménages les plus aisés. Coût estimé : 45 milliards de livres. Ainsi que le plafonnement de la facture énergétique des ménages, dont le coût est difficile à estimer, mais qui se chiffre sans doute en plusieurs dizaines de milliards de livres supplémentaires. Le financement de ces mesures n’est pas au centre des préoccupations. Il s’agira tout simplement d’ajouter au moins 60 milliards de livres à la dette, déjà considérable, du pays.

Une réaction brutale et immédiate des marchés financiers

La réaction des investisseurs ne s’est pas faite attendre. Dans un contexte volatil et incertain (guerre en Ukraine, difficultés d’approvisionnement en ressources énergétiques, inflation supérieure à 10% au Royaume-Uni, …), les mesures annoncées ont créé de vives inquiétudes, dont notamment les suivantes :

  • Les réductions d’impôts sont de nature à stimuler la consommation, et donc l’inflation. Or celle-ci est galopante. Pire, plusieurs hausses successives des taux directeurs n’ont pas réussi à l’endiguer. L’inflation risque donc de s’accélérer encore davantage et de rester à des niveaux élevés pendant plus longtemps.
  • Le Royaume-Uni est déjà très endetté. La loi de l’offre et de la demande s’applique aussi au marché de la dette étatique. Si le pays doit émettre pour 60 milliards de livres de dette de plus, cela sera naturellement à un prix plus élevé. Les taux longs sont donc susceptibles de monter.
  • Le gouvernement ne semble pas se soucier de l’équilibre fiscal du pays. Combiné à un taux d’inflation élevé et des taux longs en hausse, l’accroissement de l’endettement augmente la probabilité d’une récession économique. Vendre des actifs britanniques afin de se repositionner ailleurs peut alors faire sens. La livre risque de baisser.

Face à ce scénario, les investisseurs ont logiquement massivement vendu (1) des obligations d’Etat britannique (les Gilts), puisque le volume d’émission de ces obligations est certain d’augmenter dans les mois à venir et (2) la Livre Sterling, au profit d’autres devises.

L’effondrement en quelques chiffres

Commençons par la devise. C’est simple, elle est tombée à son plus bas historique contre le US Dollar, le 26 septembre, tombant à un plus de 1,04. 

Alors certes, depuis le début de l’année, c’est surtout le Dollar qui est en hausse contre la très grande majorité des devises. Mais peu de devises ont perdu plus de 20% contre le greenback. Lors de la seule journée du 23 septembre, la Livre perd 3% et 2% contre le Dollar et l’Euro respectivement !

Or la baisse de la devise augmente automatiquement le coût des importations pour les Anglais. Ce qui stimule l’inflation …

Sur le marché obligataire, la chute est tout aussi spectaculaire. Craignant un afflux massif et jusqu’alors inattendu de Gilts dans les trimestres à venir, les investisseurs ont vendu leurs positions. Ces ventes ont naturellement poussé les taux à la hausse (pour rappel, les prix et le rendement des obligations évoluent en sens inverse).

Prenons le rendement du Gilt à 30 ans comme référence. En quelques jours, son rendement explose, et passe de 3,74% à 5,10% ! 

Source : MarketWatch

En résumé :

Le retraites anglaises à risque

La Banque d’Angleterre est indépendante. Comme pour ses consoeurs la BCE et la Fed, l’objectif principal de sa politique monétaire est de viser un taux d’inflation autour de 2%. 

Mais elle doit aussi veiller à la stabilité financière. Et dans de (très) rares instances, elle peut intervenir sur les marchés financiers lorsqu'elle estime que celle-ci est à risque. Dans le cas présent, c’est la brutale hausse des taux longs qui l’a forcée à agir. 

Les Gilts et les fonds de pension

Au Royaume-Uni, le système des retraites est en grande partie basé sur des fonds de pensions qui garantissent un certain revenu aux retraités, typiquement indexé sur leurs derniers salaires et le nombre d’années travaillées. Pour ce faire, ces fonds investissent lourdement en obligations d’état (les Gilts) afin de garantir des flux de revenus futurs. Qu’ils combinent avec des stratégies de couverture, afin de se protéger contre l’inflation et de possibles hausses de taux.

Ces stratégies de couverture sont très sensibles aux mouvements de taux d’intérêt. Et elles sont cruciales, car les fonds de pension sont obligés de toujours avoir des actifs qui valent plus que ce qu’ils doivent à leurs retraités.

Or l’envolée abrupte des taux longs met une pression de plus en plus forte sur ces fonds de pension, qui sont forcés de vendre toujours plus d’actifs (c’est-à-dire des Gilts), afin d’éviter l’insolvabilité. Une potentielle spirale auto-destructrice…

La Banque d’Angleterre agit… avec détermination

En rupture totale avec sa politique monétaire visant à combattre l’inflation, la Banque d’Angleterre intervient avec force. Elle annonce suspendre la vente régulière de Gilts (donc de temporairement stopper l’offre d’obligations d’État) et d’acheter pour 5 milliards de Livres par jour de Gilts pendant 13 jours consécutifs, dépensant donc 65 milliards de Livres pour stabiliser les marchés.

Avec un impact considérable. La livre rebondit immédiatement de 1,4% à plus de 1,08 contre le Dollar. Les rendements sur les Gilts long chutent : le Gilt à 30 ans retombe ainsi sous les 4%. 

And now what ? (Et on fait quoi maintenant ?)

Un gouvernement qui vacille déjà

Pour tout simplement citer la conclusion du The Economist : “Lors des premières semaines de son mandat, le nouveau gouvernement a mis sa propre réputation en lambeaux, renchéri le coût de sa dette, libéré l’inflation et réduit les chances de rétablir la croissance. Imaginez ce qu’il pourrait faire en un mois ou deux.” 

Pour l’instant, la Première Ministre Liz Truss maintient sa politique. Elle continue de soutenir son chancelier, dont certains prédisent néanmoins déjà la démission, potentiellement nécessaire pour protéger la Première Ministre elle-même. 

Car la pression sur elle et son gouvernement ne cesse d’augmenter. Le Fonds Monétaire International a déjà publiquement critiqué les mesures annoncées. L’ancien président de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, estime que le mini-budget augmente le risque d’instabilité financière et met le gouvernement dans un camp opposé à celui de la banque centrale.

Un membre du parlement conservateur (c’est-à-dire du parti de la Première Ministre) estime que “It’s an utter shit show”. Sans langue de bois et en toute élégance, il juge que son parti a plongé son pays dans un véritable merdier.

Un gouvernement diamétralement opposé à sa banque centrale

Sans vouloir juger des conséquences politiques de cette crise financière, il nous semble que la situation économique du Royaume-Uni risque de se détériorer dans les trimestres à venir. Entre autres parce qu’il sera difficile d’efficacement combiner une politique monétaire et une politique fiscale diamétralement opposées. 

La Banque d’Angleterre, chargée de la première, souhaite combattre l’inflation via des hausses de taux directeurs et des retraits progressifs de liquidité. Le gouvernement semble - pour l’instant - fermement embarqué sur une politique économique de relance, stimulée par des réductions d’impôts, financée par un accroissement de l’endettement. Une politique qui est de nature à stimuler l’inflation en somme …

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