La grande rotation : des USA vers l'Europe
La performance de la bourse américaine a battu celle du marché européen sur 5, 10 et 15 ans avec une marge solide. Autrement dit, en n’ayant pas investi en valeurs américaines, un investisseurs serait passé à côté d’une bonne partie de la hausse des cours de bourse à travers le monde. Et ce n’est pas surprenant qu’avec des valorisations en forte hausse, notamment dans le secteur de la technologie, les valeurs américaines représentent (ensemble) environ les deux tiers de la bourse mondiale.
Mais voici qu’une nouvelle tendance commence à prendre de plus en plus d’ampleur : les grands investisseurs institutionnels, y compris ceux basés aux États-Unis, s’inquiètent de la performance future de la bourse américaine, la délaissent partiellement, et commencent à favoriser des investissements ailleurs dans le monde.
Qu’est-ce qui motive cette bascule, et quelles sont les conséquences pour l’épargnant européen ?
Un changement d’ère dans l’allocation d’actifs
Depuis le début de l’année 2025, une tendance de fond se dessine chez les grands investisseurs institutionnels mondiaux : la réduction de leur exposition aux actions américaines et aux actifs libellés en dollars, au profit d’autres classes d’actifs, notamment les marchés boursiers européens.
Ce mouvement, déjà perceptible en 2024, s’est accéléré sous l’effet de la montée des incertitudes macroéconomiques, des tensions commerciales initiées par le président Trump, des signes inflationnistes et de ralentissement de la croissance aux États-Unis, où pourtant les valorisations boursières restent élevées. La crainte d’un surendettement, en croissance et potentiellement un jour insoutenable, des USA et quelques tensions sur le marché des Treasuries ne font qu’ajouter de l’huile sur le feu.
Selon une enquête menée par Commonfund auprès de plus de 200 investisseurs institutionnels représentant plus de 800 milliards de dollars d’actifs, 62 % anticipent des rendements inférieurs à la moyenne historique pour les actions américaines en 2025, contre seulement 35 % l’an passé. Cette prudence se traduit par une réallocation progressive des portefeuilles, confirmée par les prises de position de grands acteurs comme BlackRock, qui a récemment augmenté ses investissements dans les actifs privés et les marchés européens.
Que ce soit le vénérable Financial Times, ou les non moins crédibles Wall Street Journal et The Economist, la presse financière anglo-saxonne souligne que ce phénomène n’est pas anecdotique mais s’inscrit dans une dynamique structurelle. Le Wall Street Journal évoque même un regain d’intérêt pour le slogan « MEGA : Make Europe Great Again », illustrant le retour en grâce des marchés européens auprès des investisseurs internationaux, avec une pointe d’ironie envers le président Trump, dont les annonces semblent contribuer à l’attrait de tout …. sauf le marché américain.
La désaffection pour les actifs américains expliquée
Les actions américaines sont chères
Après une décennie de surperformance, les actions américaines affichent des niveaux de valorisation historiquement élevés. Le S&P 500 se négocie à près de 23 fois les bénéfices anticipés, un ratio bien supérieur à sa moyenne de long terme.
Un multiple élevé peut être parfaitement justifié quand les perspectives de croissance de l’entreprise cotée sont excellentes. Mais dans le contexte actuel volatil et incertain, les investisseurs sont en droit de s’interroger.
Et cela d’autant plus que la concentration des performances sur quelques géants technologiques, et notamment les fameux Sept Magnifiques, rend le marché vulnérable à une correction.
Tensions commerciales et incertitudes politiques
L’élection de Donald Trump et la résurgence des guerres commerciales ont accentué la volatilité des marchés américains. Les annonces de nouveaux droits de douane ont provoqué des ventes massives d’actifs américains début 2025, avec une chute de 15% du S&P 500 avant un rebond partiel lié à l’apaisement temporaire des tensions.
Trump s’avère être d’opinion changeante, et a tendance à faire des annonces agressives (qui surprennent et peuvent faire peur aux investisseurs), pour ensuite revenir sur ces propos et atténuer la radicalité de ses propositions. Cette approche est devenue tellement répétitive que le marché a fini par lui accorder l’acronyme TACO, pour Trump Always Chickens Out (ou Trump se dégonfle toujours), sur une inspiration du Financial Times.
Toujours est-il que Trump aime surprendre et faire des annonces radicales. Or, les marchés financiers détestent les surprises, notamment parce qu’elles ont tendance à stimuler la volatilité.
Cette instabilité pousse les investisseurs à rechercher des marchés moins exposés aux risques géopolitiques américains.
Risque de récession
Même si Trump réduit le niveau des droits de douane, par rapport aux niveaux extrêmement élevés qu'il annonce initialement, il y a peu de doutes sur le fait que les exportations vers les États-Unis subiront, en moyenne, plus d’imposition. Ce qui se traduira en toute probabilité par des prix plus élevés pour le consommateur américain, avec des conséquences inflationnistes automatiques.
En outre, le renvoi, potentiellement massif, d’immigrés va également peser sur l’activité économique, ces immigrés représentant une partie non négligeable des travailleurs agricoles aux USA.
Enfin, la position agressive du président vis-à-vis de ses alliés pèse aussi sur l’activité touristique, bon nombre de touristes potentiels décidant d’aller passer leurs vacances ailleurs qu’aux États-Unis.
L’ensemble de ces facteurs pourraient contribuer au ralentissement de l’activité économique, et - potentiellement - contribuer à une récession économique aux Etats-Unis.
Le surendettement créé des doutes sur le marché des Treasuries
Les obligations d'État américaines, les fameuses US Treasuries, sont l’huile qui font tourner l’économie américaine et mondiale. C’est un marché de 28 trilliards de dollars. Mais le programme fiscal du président Trump contient beaucoup de réductions d’impôts (c’est-à-dire une réduction des recettes de l’État) et beaucoup de dépenses. Il faudra sans doute creuser encore plus le déficit budgétaire et il fait donc craindre un accroissement considérable de cette montagne de dette. A minima, les investisseurs vont exiger d’être mieux payés pour continuer à financer le Trésor américain et donc pousser les taux d’intérêts sur les US Treasuries à la hausse. Dans le pire des cas, ils pourraient commencer à douter de la capacité des États-Unis à honorer ses engagements. Peu probable ? Oui. Impossible ? Malheureusement, cela ne l’est plus.
Quel que soit le scénario, les tensions croissantes sur le marché obligataire contribuent à faire fuir les investisseurs. Ou en tous cas, les pousse à considérer des placements alternatifs, non-américain.
Perte d’attractivité du dollar
Le dollar, longtemps considéré comme une valeur refuge, voit sa domination contestée. Kenneth Rogoff, dans The Economist, anticipe une érosion progressive de la suprématie du billet vert, au profit de l’euro et du yuan. Notamment sous l’effet d’une politique volontariste de grandes banques centrales de vouloir se libérer de leur dépendance au billet vert.
La conséquence de tout ce qui précède conduit à une baisse du Dollar face aux devises internationales. En conséquence, les investissements en actions ou autres actifs américains détenus par les investisseurs étrangers perdent de la valeur, exprimée en devise locale.
Autrement dit, la baisse de la devise américaine rend les actifs libellés en dollars moins attractifs pour les investisseurs internationaux, qui cherchent à se prémunir contre le risque de change.
Les classes d’actifs bénéficiaires de la rotation
Les actions européennes
Les marchés boursiers européens sont les principaux bénéficiaires de cette réallocation. Après des années de surpondération des actions américaines, les investisseurs institutionnels cherchent à diversifier leurs portefeuilles. Or, les marchés européens, longtemps délaissés, offrent aujourd’hui des valorisations plus raisonnables et un potentiel de rattrapage.
En 2025, les indices européens ont surperformé leurs homologues américains, portés par des valorisations attractives, une reprise de l’investissement industriel et des politiques de soutien à la transition énergétique et de relance économique (notamment en Allemagne). L’indice Stoxx Europe 600, par exemple, a enregistré une progression notable, soutenue par la hausse des dépenses de défense et d’infrastructures, en particulier en Allemagne et en France.
Les actifs privés et non cotés
Le rapport annuel de BlackRock recommande d’élargir l’horizon d’investissement aux marchés privés, notamment le crédit privé et les infrastructures, pour capter les nouvelles dynamiques économiques. Ces actifs offrent des rendements potentiellement supérieurs, tout en étant moins corrélés aux marchés publics.
Les devises alternatives et obligations européennes
La recherche de diversification passe aussi par une exposition accrue à l’euro et aux obligations européennes, qui bénéficient de la faiblesse relative du dollar et d’une politique monétaire plus accommodante de la Banque Centrale Européenne.
L’or, une valeur refuge
Enfin, notons que le métal jaune continue aussi à attirer des flux de capitaux importants, apprécié pour ses qualités défensives et sa performance décorrélée des marchés actions, en cas de correction boursière.
Que faire ?
La bascule (relative) des USA vers d’autres contrées et notamment vers les marchés européens est un phénomène relativement récent et naissant. Sur des longues durées, le marché actions américain a systématiquement sur-performé les bourses européennes.
Donc il ne s’agit pas de vendre la totalité de vos actifs libellés en US Dollar, ou la totalité de vos actions américaines. D’ailleurs, les mouvements initiés par les grands investisseurs institutionnels représentent des ajustement d’allocation qui - pour l’instant - sont modestes.
Mais il est pertinent pour un épargnant individuel de savoir que ce phénomène existe et de le prendre en compte dans son allocation d’actifs et ses choix d’investissement.
Vous voulez en parler avec un expert, ou en apprendre plus sur les opportunités de placement spécifiquement conçus pour cibler les valeurs européennes ? Nos conseillers sont à votre disposition.
