Warren Buffett (94) part à la retraite
Ceux qui nous lisent régulièrement savent que nous faisons partie des “Buffettologistes”, comme aiment s’appeler les fans absolus de Warren Buffett, cet investisseur nonagénaire et légendaire, qui vient d’annoncer sa retraite, après 60 ans de (très) bons et loyaux services à la tête de son conglomérat, Berkshire Hathaway. À cette occasion, il nous paraissait logique de saluer les accomplissements de celui qu’on surnomme l’Oracle d’Omaha.
Revenons donc brièvement sur la carrière extraordinaire de Buffett, en soulignant son style d’investissement unique qui a généré des rendements records, mais aussi son énorme contribution à l’éducation financière, à travers ses lettres annuelles aux actionnaires et ses réponses tangibles et pratiques à leurs questions.
Un parcours hors du commun
L’influence de Benjamin Graham
Né en 1930 à Omaha, Nebraska, Warren Buffett s’intéresse très tôt à la finance et à l’investissement. Dès l’enfance, il distribue des journaux pour gagner un peu d’argent, qu’il investit dans des actions (plutôt que d’acheter des bonbons), avec plus ou moins de succès.
Après des études à l’Université du Nebraska, il poursuit sa formation à Columbia, où il suit les enseignements de Benjamin Graham, le père de l’investissement « value », qui deviendra son mentor lorsqu’il fonde sa propre société d’investissement dans les années 1950.
Il trouve sa technique qui consiste à trouver des sociétés sous-cotées pour profiter de leur appréciation dans le temps. Comme il le dit en ses propres mots : “acheter des billets d’un dollar pour 50 centimes”.
L’ascension avec Berkshire Hathaway, sous l’influence de Charlie Munger
Initialement, Buffett se focalise sur des entreprises mal au point. Ainsi, en 1965, Buffett prend le contrôle de Berkshire Hathaway, alors une entreprise textile en difficulté. Mais son associé, Charlie Munger (décédé en 2023), le convainc qu’il y autant voir plus d’argent à faire en investissant dans des entreprises saines.
Sa technique d’investissement évolue et s’affine. Buffett l’a souvent résumé ainsi : «il vaut mieux acheter une entreprise formidable à un prix raisonnable qu’une entreprise raisonnable à un prix formidable. »
Avec Berkshire Hathaway, plutôt que de s’en tenir au secteur du textile, il utilise la société comme véhicule d’investissement, acquérant progressivement des entreprises entières et des participations dans des sociétés cotées.
Sous sa direction, Berkshire Hathaway devient un conglomérat tentaculaire, regroupant des activités dans l’assurance, le ferroviaire, l’énergie, l’alimentation, la distribution et la technologie.
Un empire bâti sur la patience et la discipline
Buffett a transformé Berkshire Hathaway en l’une des entreprises les plus admirées et rentables au monde. Sa capacité à identifier des entreprises sous-évaluées, à les acquérir et à les laisser prospérer sous une gestion décentralisée, a permis à Berkshire d’atteindre une valeur boursière proche de 1 200 milliards de dollars en 2025.
Sa période d’investissement favorite ? L’éternité ! Autant dire qu’il adopte une vision à (très) long terme.
Enfin, il n’a pas peur de laisser passer des modes, quand il manque de conviction. Ainsi Berkshire Hathaway n’a jamais investi dans les start-up montantes de l’internet. Et a donc pu éviter toute perte lorsque la bulle internet a fini par éclater.
Le style d’investissement de Warren Buffett
Les fondements du « Value Investing »
Buffett s’inscrit dans la droite ligne du « value investing » prôné par Benjamin Graham : il recherche des entreprises dont la valeur intrinsèque est supérieure à leur prix de marché. Il privilégie des sociétés avec un avantage concurrentiel durable, une équipe de direction de qualité et une forte génération de cash-flow.
Cela par opposition aux investisseurs qui recherchent les sociétés, souvent peu ou pas encore profitables, à très forte croissance (le “growth investing”). En conséquence, Buffett est peu exposé au secteur technologique par exemple, et n’a pris des parts dans Apple que lorsque cette firme technologique était devenue une machine à cash, génératrice de profits conséquents et stables dans le temps.
La patience et la résilience
L’un des traits distinctifs de Buffett est sa patience. Il n’hésite pas à conserver ses investissements pendant des décennies, même lorsque le marché doute de ses choix.
Cette résilience lui a permis de traverser les crises - de l’embargo pétrolier de 1973 à la crise financière de 2008 - et d’en sortir renforcé, alors que d’autres investisseurs cédaient à la panique.
Diversification et concentration
Contrairement à de nombreux gestionnaires de fonds qui multiplient les lignes de portefeuille, Buffett préfère concentrer ses investissements sur un nombre limité de sociétés qu’il connaît intimement et sur lesquelles il a fait des recherches poussées. Ses participations majeures dans Coca-Cola, American Express, Apple ou encore Geico illustrent cette approche.
Il a également su diversifier le portefeuille de Berkshire Hathaway en acquérant des entreprises entières dans des secteurs variés, de l’énergie (MidAmerican, aujourd’hui Berkshire Hathaway Energy) à la construction de maisons (Clayton Homes).
Attention, Buffett confirme que sa technique n’est efficace que si elle est déployée par des experts comme lui, qui y consacrent tout leur temps. Pour l’épargnant individuel il conseille plutôt l’achat de fonds indiciels (ETFs) qui répliquent le marché dans son entièreté et qui procurent donc, par construction, un portefeuille très diversifié.
Les leçons des succès et des échecs
Buffett est très connu pour ses succès retentissants (American Express, Coca-Cola, Goldman Sachs et Bank of America en pleine crise financière, ou encore Apple). Mais il est presque aussi connu pour ses erreurs d’investissement, dont il parle avec autant de franchise dans ses rapports annuels et aux assemblées générales d’actionnaires.
Cette humilité et cette capacité d’introspection ont renforcé sa légende et inspiré des générations d’investisseurs.
Des rendements extraordinaires pour les investisseurs
Sur-performance historique
Buffett s’est fixé dès 1957 l’objectif de battre le Dow Jones de 10 points de pourcentage par an. Avant de liquider son partnership initial, il avait largement dépassé ce but, sur-performant le marché de 22 points annuels en moyenne.
À la tête de Berkshire Hathaway, il a continué à battre l’indice S&P 500. La modique somme de 20 dollars requis en 1965 pour acquérir une action de Berkshire Hathaway se serait transformée en plus de 809 000 dollars aujourd’hui. Un investissement similaire dans le S&P 500, l’indice phare de la bourse américaine ne vaudrait “que” 6 089 dollars, correspondant à un rendement annuel moyen de 10,1%.
Performances récentes moins éclatants
Sur la dernière décennie, Berkshire Hathaway a généré un rendement total de 165 %, contre 211 % pour le S&P 500. Le rendement annuel moyen de Buffett sur cette période est de 10,2 %. Cette relative sous-performance récente s’explique en partie par la taille colossale du portefeuille et la difficulté à trouver des opportunités d’investissement significatives à l’échelle de Berkshire.
Buffett lui-même a averti ses actionnaires que les rendements « époustouflants » du passé ne pourront probablement pas être reproduits à l’avenir, compte tenu de la taille de Berkshire et de la maturité des marchés.
Une passion pour la démocratisation de la finance
Au-delà de ses rendements, Warren Buffett est aussi adulé pour sa transparence, ses explications, ses conseils pratiques et ses remarques de bon sens, régulièrement délivrés avec une pointe d’humour.
Plusieurs recueils de ses conseils, souvent imagés, ont été publiés et nous n’allons pas tous les réitérer ici, mais il n’y a pas de doutes que ses observations et ses lettres à ses actionnaires ont marqué de nombreux investisseurs.
Pour preuve, depuis des années, des dizaines de milliers d’actionnaires se réunissent à l’occasion de l’assemblée générale de Berkshire Hathaway, tenue dans la ville d’Omaha dans l’État du Nebraska, pour questionner et écouter l’Oracle, qui vient donc d’annoncer sa retraite à la dernière occasion.
Les défis pour la succession
Greg Abel, le successeur attendu
Greg Abel, 61 ans, vice-président de Berkshire Hathaway et responsable des activités hors assurance, a été désigné comme successeur de Buffett à la direction générale. Entré chez Berkshire en 2000 via l’acquisition de MidAmerican, Abel s’est illustré par sa gestion rigoureuse et sa capacité à améliorer la performance opérationnelle des filiales. Sa nomination est le fruit d’une longue préparation, validée par Charlie Munger et Buffett lui-même.
Il aura sans doute besoin de toutes ses compétences pour répondre aux nombreux défis qui se posent à lui.
Plusieurs défis stratégiques
Abel devra investir les près de 10 milliards de dollars générés chaque trimestre par les filiales de Berkshire, dans un contexte où les opportunités d’acquisitions transformantes se raréfient à l’échelle du groupe. Ces 10 milliards ne font que s'ajouter au 350 milliards de dollars de liquidités dont le groupe dispose déjà !
Sous la responsabilité ultime d’Abel, les gestionnaires du portefeuille d’investissement, Combs et Weschler, peinent à battre le S&P 500 ces dernières années. Avec le départ annoncé de Buffett, cela relancera potentiellement le débat sur la pertinence d’une gestion active face à la montée des fonds indiciels passifs.
En outre, il devra préserver la culture d’autonomie, de discipline et d’intégrité instaurée par Buffett, tout en imprimant sa propre marque. Pas facile quand votre prédécesseur a tenu 60 ans dans le rôle.
L’histoire de Berkshire est jalonnée de paris aussi audacieux que profitables lors de crises. Abel devra démontrer sa capacité à agir avec la même audace et discernement lors des prochains chocs économiques.
Enfin, Abel doit gérer quelques sujets juridiques importants. Certaines filiales, notamment dans l’énergie, sont confrontées à des litiges potentiellement coûteux (ex : incendies de forêts aux États-Unis), testant la capacité d’Abel à gérer des situations complexes.
Les atouts structurels de Berkshire Hathaway
Malgré ces défis, Berkshire Hathaway conserve des avantages structurels majeurs :
- Un capital permanent et peu coûteux,
- Une gouvernance stable et une culture d’entreprise unique,
- Une diversification sectorielle qui offre une résilience face aux cycles économiques,
- Une position de près de 350 milliards de Dollars en liquidités, qui permettent de saisir toute opportunité d’investissement qui pourrait se présenter.
La GOAT passe le relais
Warren Buffett laisse derrière lui un héritage inégalé. Sa carrière d’investisseur incarne la discipline, la patience, l’humilité et la capacité à penser à contre-courant. Sous sa houlette, Berkshire Hathaway est devenu un modèle de réussite pour les investisseurs du monde entier, générant des rendements exceptionnels en appliquant une stratégie d’investissement clairement expliquée et pleinement assumée.
La succession de Buffett, confiée à Greg Abel, représente un défi de taille. Maintenir la performance financière, préserver l’esprit Berkshire et s’adapter à un environnement financier en mutation ne sera pas facile.
Si l’ère des rendements spectaculaires semble révolue, la solidité du modèle Berkshire et la qualité de son management laissent entrevoir une transition maîtrisée, même si, comme le souligne le Wall Street Journal, « il n’y aura jamais un autre Warren Buffett ».
