Le Salvador, pionnier du bitcoin, mais à quel prix ?

Sep 13, 2021

Le 7 septembre dernier, le Salvador est devenu le premier pays au monde où il est possible de régler ses achats en bitcoins. La crypto monnaie a été formellement adoptée comme la seconde monnaie officielle du pays, aux côtés du Dollar américain. Expérience digne d’intérêt ou opération de com’ douteuse ?

Le bitcoin comme monnaie de cours légal

Mais d’abord, qu’est-ce qu’une monnaie officielle ? Généralement, la devise d’un pays se définit comme la monnaie dans laquelle les créditeurs sont tenus d’accepter que leurs prêts soient remboursés. Mais au Salvador, la loi va plus loin. Elle impose à tous les commerces du pays d’accepter la crypto monnaie en contrepartie des biens ou services qu’ils proposent. En théorie, depuis quelques jours, le monsieur Toulemonde du Salvador peut régler sa “cerveza” en bitcoins, au comptoir, ou plutôt en satoshis (un satoshi vaut cent millionième d’un bitcoin).

Les remises facilitées

Pourquoi ajouter le bitcoin comme seconde devise nationale ? Le pitch du président se focalise sur les remises. L’économie salvadorienne dépend beaucoup de l’argent que 2 millions de Salvadoriens expatriés renvoient à leurs familles, restées au pays. Cela représente 20% du PIB du pays, selon The Economist. Or ces transferts, exécutés en US Dollars et typiquement opérés par des changeurs comme Western Union, prennent du temps et coûtent chers (de l’ordre d’une semaine et 3-5% de commission). L’envoi de bitcoins d’un porte-monnaie électronique à un autre est comparativement beaucoup plus rapide et peu onéreux.

Le gouvernement soutient par ailleurs que l’introduction du bitcoin permettrait d’attirer des investissements importants en provenance de l’étranger. Ce dont l’économie salvadorienne a bien besoin.

Un coup de com’ politique

Les opposants à cette mesure ne perçoivent pas que des avantages à cette mesure. Ils y voient avant tout un coup de com’ politique de Nayib Bukele, le président. Et rappellent au passage que ses frères Ibrajim et Yusef Bukele sont de grands fans de crypto-monnaies.

Quoi qu’il en soit, l’expérience salvadorienne nous permettra d’analyser les avantages, mais aussi les limites des crypto-devises, appliquées à la vie quotidienne.

Une introduction (trop) rapide

Une crypto-quoi ?

Quelques mois seulement séparent le moment où l’idée a germé du vote de la loi. Le président en a parlé pour la première fois lors d'une conférence le 5 juin dernier. La loi a été votée trois jours plus tard. Comment penser que la population et les systèmes de paiement seraient prêts début septembre?

Selon l’agence de sondage Disruptiva, en juillet, les trois-quarts de la population était sceptique sur le projet. Deux-tiers ne souhaitaient pas être payés en bitcoins, et un peu moins de la moitié des Salvadoriens ne comprenaient pas ou pas bien ce qu’est un bitcoin.

Des bugs initiaux

Au Salvador, c’est l’appli Chivo, qui veut dire “frais” ou “cool”, qui est censée permettre les échanges en bitcoins. La promesse initiale est alléchante : 30 dollars offerts en bitcoin pour ceux qui la téléchargent. Le problème est qu’elle ne fonctionnait pas le jour du lancement.

La faute à pas de bol, le bitcoin chute de 10% !

Deuxième souci, le même jour, le prix de la crypto-devise chutait brutalement. Les adeptes de bitcoin le savent, la valeur de ces moyens de paiement digitaux varie, et souvent de façon violente. Le jour J elle dévissait de 17%, pour finir la journée en baisse de 10%. Ce type de fluctuations est exceptionnellement rare entre devises majeures (le dollar américain, la livre anglaise, l’euro, le franc suisse ou encore le Yen japonais) et réduit naturellement la confiance que la population peut avoir dans les bitcoins. À quoi bon prendre le risque de recevoir de la crypto-devise, si son pouvoir d’achat est aussi volatil ?

Nous pouvons donc conclure que le lancement de cette initiative n’a pas été sans heurts. Mais sur la durée, est-elle (potentiellement) utile ?

Des réserves majeures

Mettons de côté les difficultés pratiques initiales. Il n’est pas certain que l’adoption d’une crypto-devise aux côtés de sa monnaie nationale soit économiquement recommandable.

La volatilité du bitcoin peut déstabiliser le pays

Le Fonds Monétaire International ainsi que la Banque Mondiale mettent en garde contre cette démarche, citant l’instabilité macro-économique qu’elle pourrait causer. Essayons d’expliquer cette crainte théorique en mots simples, en prenant le Salvador comme exemple concret.

Juste avant d’adopter formellement le bitcoin, sa banque centrale achète 400 bitcoins. Et dépense donc de précieux dollars pour ce faire. En se basant sur les cours historiques, le pays a dû débourser 20,4 millions de dollars… qui ne valaient plus que 18,4 millions de dollars 48 heures plus tard !  

Le président Bukele y voit une opportunité et achète 150 bitcoins de plus. Mais l’exemple montre bien que les réserves du pays, dorénavant exposées au cours du bitcoin, sont devenues beaucoup plus volatiles. Rappelons que depuis le début de l’année, le cours du bitcoin a fluctué entre 10 000 et 64 000 dollars !

L’agence de notation Moody’s le perçoit ainsi et abaisse la notation de crédit du pays. Ce qui renchérit le coût auquel il pourra emprunter sur les marchés internationaux.  


Le bitcoin reste une monnaie imparfaite

Comme sur tous les protocoles blockchains, la validation d’une transaction en Bitcoin repose sur un grand nombre de “nœuds” (concrètement, des ordinateurs reliés au réseau) qui garantissent collectivement l’authenticité et l’inviolabilité de l’opération. C’est LE gros avantage de ces systèmes dits “décentralisés” : ils sont réputés plus solides et moins soumis à une autorité toute puissante.

L’inconvénient, c’est que cette puissance de calcul coûte cher. En temps d’abord. Certaines périodes de fort trafic ont vu les délais d’exécution monter à plusieurs heures. Mais aussi en frais. Il faut en effet que les opérateurs des nœuds (ou “mineurs”) soient rémunérés.

Enfin, la puissance de calcul ainsi requise pour valider la moindre opération pose la question de l’impact environnemental du Bitcoin — qui fait partie des crypto-monnaies les plus énergivores.

Des adeptes de crypto conquis, mais des Salvadoriens logiquement dubitatifs

Les crypto-fans à travers le monde ont vu l’initiative du Salvador comme un immense pas en avant dans l’évolution progressive des crypto-devises. Initialement réservé à une petite communauté d’ultra-geek et accusé d’être surtout utilisé pour financer des transactions illicites, le bitcoin a été adopté par de plus en plus de personnes. Plus récemment, un nombre croissant d’entreprises (dont Tesla) ont décidé d’accepter la devise comme moyen de paiement. Selon la crypto-sphère, ce n’était qu’une question de temps, avant que le cap de la devise nationale soit franchi.

Mais pas sûr que les Salvadoriens le perçoivent comme tel. Très peu de marchands acceptent d’être payés en bitcoin pour l’instant. La méfiance et l’incompréhension dominent. Et l’avantage financier sur les Western Unions en provenance de l’étranger s'efface très vite quand on apprend que les 200 distributeurs automatiques de bitcoins, permettant d’échanger la crypto-devise contre des dollars et inversement prennent une commission de change de 5%.

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