La Grèce, un emprunteur dont on pourrait se méfier
On marche sur la tête
Imaginons qu’un ami vous emprunte de l’argent. Peu de temps après, il vous indique qu’il ne peut pas vous rembourser. Contrairement à ce qu’il a pu vous dire, sa situation financière est fragile. Il est surendetté, et il n’a pas les moyens d’honorer sa dette. Après avoir longtemps hésité à le mettre en faillite, vous vous mettez d’accord pour annuler la moitié de sa dette et étaler le remboursement du solde sur plusieurs années. Depuis, malgré d’importantes aides financières de l’État, son niveau d’endettement, déjà élevé, continue d’augmenter dangereusement.
Est-ce que vous lui prêteriez de l’argent à nouveau ? Probablement pas. Est-ce que vous le paierez pour lui prêter de l’argent ? Jamais de la vie.
Et pourtant, c’est le scénario que nous vivons aujourd’hui, avec la dette grecque. Le rendement de son obligation à 5 ans est passé à taux négatif. Ce qui veut tout simplement dire qu’un investisseur qui achète cette obligation et qui la détient jusqu’à son échéance, est sûr de récupérer moins que sa mise de départ !
Les statistiques grecques pas très rassurantes
Rappel des faits. En 2010, l’endettement grec s’avère être bien plus important que le niveau rapporté officiellement. Pour faire face aux remboursements, le pays a désespérément besoin, et reçoit de l’aide financière du Fonds Monétaire International, la Commission Européenne et de la Banque Centrale Européenne à plusieurs reprises dans les années qui suivent. La Grèce obtient également une réduction de 50% de la dette due aux banques en 2011.
Malgré ce soutien financier massif, la situation financière de la Grèce n’est pas enviable. Touchée durement par la crise sanitaire, qui a fortement impacté son économie, très largement dépendante du tourisme, la production nationale a chuté de 10% en 2020. En même temps, le ratio de la dette par rapport au produit national brut a continué de monter, pour dépasser les 200% aujourd’hui. Soit le taux d’endettement le plus élevé en Europe !
Sans surprise, le pays demeure sous “surveillance élevée” des instances internationales.
Un endettement important, pourtant de plus en plus facile à trouver
Mesurer la facilité d’emprunt en trois étapes
Typiquement, la facilité avec laquelle un emprunteur peut s’endetter se mesure selon trois critères :
- Le montant de l’emprunt : plus un emprunteur est perçu comme financièrement solide et capable de rembourser, plus le montant qu’il pourra emprunter sera important. Comme le dit le vieux dicton, “on ne prête qu’aux riches”.
- La durée du prêt : plus une banque fait confiance à un emprunteur et à sa capacité à rembourser, plus la durée sur laquelle elle sera disposée à lui prêter des fonds sera longue.
- Le taux d’intérêt : toujours le même principe. Un emprunteur de grande qualité attirera de nombreuses propositions de prêts. Les prêteurs se font concurrence, et il bénéficie des meilleurs taux possibles (c’est-à-dire les plus bas). Inversement, un emprunteur plus fragile pourrait avoir des difficultés à rembourser sa dette. Il aura donc plus de mal à trouver des prêteurs, qui exigeront logiquement des niveaux de rémunération plus élevés, pour prendre en compte le risque de défaut de l’emprunteur.
Tous les indicateurs étonnamment au vert pour la Grèce
Évaluons la situation de la Grèce sur ces trois axes :
En volume, le résultat est très positif. Le pays a levé 12 milliards d’euros de dette, sans difficultés en 2020. Surtout, lorsque la Grèce a cherché à émettre 3,5 milliards de dette à 10 ans en janvier, l’émission obligataire a attiré 29 milliards d’ordres d’achat.
Pour la durée, on ne peut pas faire beaucoup mieux. Rares sont les emprunteurs qui peuvent s’endetter sur des durées de plus de 10 ans. En effet, comment se faire une opinion de la santé financière d’un emprunteur pour plus d’une décennie ? Et pourtant, en mars dernier, la Grèce s’endette à 30 ans. Et lève 2,5 milliards d’euros de dette de plus, face à une demande des investisseurs atteignant 26 milliards d’euros au total.
Enfin, le coût de la dette grecque a fortement chuté en quelques trimestres. Au plus fort de la crise sanitaire, le rendement à 10 ans sur de la dette grecque atteignait les 4% environ. Le taux d’intérêt sur le récente émission obligataire à 10 ans a été fixé à 0,8% !
Et dans cette chute des taux d’intérêts grecs, le rendement de l’obligation étatique à 5 ans a récemment cassé la barre des 0% ! Comment l’expliquer ?
La BCE à la rescousse
Le “quoi qu’il en coûte”, version européenne
En réponse à la crise sanitaire, la Banque Centrale Européenne a mis en place des mesures extraordinaires pour soutenir les gouvernements européens dans leurs efforts pour relancer les économies, brutalement mises à l’arrêt par la pandémie.
Une des mesures les plus fortes fut d’étendre massivement le programme d’achat de la BCE par lequel la banque centrale se procure, entre autres, des volumes importants de dette émise par les États européens.
Ces achats sont effectués dans le cadre du Pandemic Emergency Purchase Programme, annoncé en mars 2020 par Christine Lagarde, qui précise à cette occasion que “le soutien [de la BCE] à l’euro est sans limites”. Le programme permet d’acheter 186,6 milliards d’euros d’obligations publiques. Dont spécifiquement ceux de la Grèce, pourtant moins bien notées que la plupart des autres pays européens.
Un acheteur insensible au prix
Il s’agit de ce que la BCE appelle une politique monétaire non conventionnelle. Et comment ! Voici un acteur aux moyens financiers quasi-illimités qui s’auto-déclare acheteur d’un produit spécifique, sans conditions de prix. Ça limite sacrément le risque pour tout autre acheteur potentiel de voir le prix de ce produit baisser…
Dans le cas présent, cette distorsion de marché voulue permet aux investisseurs traditionnels d’ignorer les fondamentaux économiques. Si la BCE est là pour agir en tant qu’acheteur permanent, les obligations de l’État Grec sont un bon moyen d’obtenir des rendements (un peu) plus élevés que ceux de la France ou de l’Allemagne, bien en deçà de zéro.
Tant va la cruche (ou l’amphore) à l’eau….
La seule véritable question devient alors jusqu’à quand la BCE maintiendra son programme. C’est une question à plusieurs milliards d’euros. Qui fait que les investisseurs en obligations, les gestionnaires de fonds et les traders scrutent toutes les déclarations de Christine Lagarde et de ses collègues et retiennent leur respiration à chaque lecture du compte rendu des réunions officielles de la BCE. Le mot qu’ils craignent voir apparaître ? Le “tapering”, c’est-à-dire un potentiel réduction du volume d’achat par la Banque centrale.
Avec la reprise économique, le sujet est de plus en plus pertinent. Et la question n’est plus “si” mais “quand”...
M’Abonner
Une sélection de nos meilleurs articles chaque mois, et un briefing hebdomadaire sur les marchés