Avec la hausse significative des taux d’intérêt, de nombreux investisseurs s’intéressent avec enthousiasme aux obligations et achètent des fonds obligataires. Nous pensons que cette démarche fait sens, … tant que les épargnants comprennent les risques qui y sont associés.
Quand on achète des obligations, le risque majeur est de ne pas se faire rembourser par l’émetteur. C’est le risque de crédit et celui-ci est relativement facile à comprendre. Mais il en existe un second, moins facile à saisir, qui peut faire des ravages. C’est le risque de duration.
Et ce sont nos amis Autrichiens qui vont nous permettre de l’illustrer !
Quand les taux montent, le prix des obligations baisse
S’endetter sur un siècle : l’obligation autrichienne, échéance 2117
En 2017, lorsque les taux d’intérêt sont au plus bas - souvenez-vous, à l’époque la BCE les avait fixés à zéro pour la zone euro - certains emprunteurs décident de saisir ces conditions avantageuses et de s’endetter à des tarifs historiquement imbattables. Et si possible, pour la durée la plus longue possible.
Phénomène rare dans le monde obligataire, certains pays, dont l’Autriche, vont même jusqu’à émettre des obligations à cent ans. C’est ce qu’on appelle des “century bonds” (obligations à un siècle) dans le métier. Le pays s’endette à hauteur de 6 milliards d’euros, sur lesquels elle s’engage à verser des intérêts annuels de seulement 2,1%, avant de rembourser le montant emprunté … en 2117 !
La hausse des taux fait chuter le prix du century bond de l’Autriche
Initialement tout va bien, car l’Autriche verse religieusement les coupons qu’elle doit sur sa dette, et les taux d’intérêts s’enfoncent un peu plus encore, faisant grimper le prix de l’obligation.
Mais depuis l’année dernière, l’environnement de taux a totalement changé. Les banques centrales, pour combattre l’inflation élevée et difficile à dompter, ont fortement relevé leurs taux directeurs. Les conséquences sur l’obligation à cent ans de l’Autriche ont été immédiates et brutales.
Pour être clair, un investisseur qui a acheté cette dette étatique à l’émission au pair (à une valeur égale à 100% de la valeur nominale de l’obligation) accuse aujourd’hui une perte théorique de presque 40%. En tenant compte des coupons annuels de 2,1% déjà versés, la perte sur cette position se réduit à 31,27% selon Bloomberg.
Pire, si un investisseur a acheté cette obligation à son pic de prix (et donc à son rendement le plus bas) atteint en 2020, alors il fait face à une chute de quasiment 75% de la valeur de son investissement.
L’obligation autrichienne est un excellent exemple du pouvoir explosif de la duration quand l’environnement de taux change.
La différence entre duration et maturité
La duration est variable, la maturité est linéaire
La duration d’une obligation est différente de sa maturité. La maturité de l’obligation de l’Autriche 2117 était de 100 ans à sa date d’émission et elle se réduit de façon linéaire dans le temps, à chaque jour qui passe, sans changer en fonction du niveau des taux d’intérêts.
La duration, elle, se réduit à un rythme qui s’accélère dans le temps, au fur et à mesure qu’on se rapproche de l’échéance de l’obligation. Et surtout, elle varie en fonction du niveau des taux d’intérêts.
Les deux types de duration
La duration se définit de deux façons, car il existe deux types de duration. La duration de Macauley s’exprime en nombre d’années et correspond à la période de temps pendant laquelle un investisseur doit détenir une obligation, pour récupérer le montant qu’il a investi. Comme ce calcul tient compte des coupons périodiques que versent la plupart des obligations, la duration est typiquement inférieure à la maturité de l’obligation. Aussi, un investisseur souhaitant récupérer sa mise initiale le plus rapidement possible privilégiera investir dans des obligations dont la duration est faible.
Pour mettre en évidence le fait que la duration est plus courte que la maturité (sauf pour les obligations zéro coupon, qui ne versent aucun intérêt avant leur échéance finale), voici une illustration d’une obligation à 5 ans et versant un coupon annuel de 6%. Ce titre a été acheté à 98% de sa valeur nominale et est remboursé au pair à maturité.
Pour les geeks de la finance, la duration de Macauley se calcule comme suit, pour une obligation qui verse des coupons annuellement :
Où :
- Coupon est le coupon de l’obligation
- Remboursement est égal au remboursement du capital à l’échéance de l’obligation
- YTM représente le rendement (aussi appelé Yield To Maturity, en anglais)
- N représente le nombre d’années à courir et donc le nombre de coupons encore à recevoir
En finance, les experts se réfèrent le plus souvent à la duration modifiée. Celle-ci est dérivée de la duration de Macauley. Elle mesure mathématiquement la sensibilité du prix d’une obligation aux fluctuations des taux d’intérêt. La duration modifiée d’une obligation est égale au changement du prix du titre obligataire (exprimée en pourcentage), pour une variation de 1% des taux d’intérêts.
Car les obligations perdent de la valeur quand les taux montent et en gagnent quand les taux baissent. Par exemple, si vous achetez une obligation avec un coupon de 3% quand les taux sont à 1%, celle-ci perdra de la valeur lorsque les taux grimpent pour atteindre 4%. Car dans ce nouvel environnement de taux, les nouvelles obligations, émises par le même émetteur sur des maturités similaires, offriront des rendements plus attractifs.
Les caractéristiques de la duration
Plus la maturité d’une obligation est longue (c’est-à-dire plus la date de remboursement est lointaine dans le temps) et plus la duration de ce titre sera longue. Une obligation qui verse un coupon de 4% pendant 2 ans est moins exposée aux variations de taux d’intérêt qu’une obligation avec le même coupon, mais avec une maturité de 10 ans.
Et plus le coupon d’une obligation est basse, plus sa duration sera élevée. En effet, les obligations qui versent un coupon élevé permettront à leurs détenteurs de récupérer leur capital investi plus rapidement qu’une obligation qui ne distribue que de faibles intérêts et pour laquelle le remboursement final représente donc proportionnellement une partie plus importante des cash flows futurs.
Par exemple, le US Treasury à 10 ans (la dette des États-Unis représentant un risque de crédit extrêmement faible) qui est émis avec un rendement de 4,79% et versant un coupon sur une base semi-annuelle possède une duration modifiée de 7,87 et une duration Macauley de 8,06. À l’inverse, une obligation à 2 ans à haut rendement (reflétant un risque de défaut considérable de l’émetteur), offrant un rendement de 10% et s’échangeant au pair affiche une duration modifiée de 1,77 et une duration Macauley de 1,86.
Donc les obligations à maturité extrêmement longue et à faible coupon possèdent les durations les plus élevées. Et ce sont donc ces obligations qui exposent le plus les investisseurs aux variations de taux.
La duration extraordinaire du century bond de l’Autriche
À la date de son lancement, la duration de l’obligation centenaire de l’Autriche (avec une maturité de 100 ans et un coupon semi-annuel de 2,1%) était de presque 42. Plus impressionnant encore, lorsque les taux d’intérêts se sont écrasés après la pandémie du COVID, la duration de cette ligne obligataire dépassaient 60. À ce moment, chaque 1000 euros de dette obligataire de cette ligne s’échangeait à un prix de 2400 euros, donnant à l’acquéreur du titre (et à ce prix) un rendement de 0,38%.
Avec une duration aussi élevée, lorsque les taux d’intérêts se sont mis à grimper, la chute du prix de cet actif obligataire a été très brutale. Le graphique ci-dessus de l’évolution du prix de l’obligation autrichienne parle de lui-même.
L’utilité de la duration
Comme évoqué en introduction, l’investissement en obligations et en fonds obligataires a logiquement le vent en poupe. C’est parfaitement logique car il est à nouveau possible de viser des rendements de 3 à 5% en achetant des obligations étatiques (et à faible risque de défaut) ou d’espérer des rendements bien plus importants encore en s’exposant aux obligations d’entreprises (dont le risque de crédit est plus important).
Ce risque de crédit est relativement facile à comprendre, et les notes attribuées par les agences de notation permettent de comparer ce risque entre différentes obligations, allant des plus sûres aux plus risquées. Ensuite, c’est à chaque épargnant de déterminer quel niveau de risque il est prêt à assumer, pour viser un niveau de rendement correspondant.
Mais il nous semble crucial d’également bien comprendre le risque de taux des obligations. Et la duration permet de l’évaluer pour chaque ligne obligataire, et donc de comparer ce risque entre différentes obligations, y compris entre les émissions obligataires d’un même émetteur.
Comme le démontre la chute vertigineuse du prix de l’obligation autrichienne 2117 (pourtant un émetteur de la plus grande qualité de crédit), la variation des taux d’intérêt peut significativement impacter la valeur des obligations. Et notamment celles dont la duration est élevée !
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