Chute des ventes d’obligations vertes américaines : le « greenhushing » en pleine expansion
Le greenwashing laisse place au greenhushing
Ces dernières années, le « greenwashing » était sur le devant de la scène. Il s’agissait de distinguer les acteurs qui faisaient de véritables efforts pour ajuster leurs modèles d’affaires afin de contribuer à la décarbonation de la planète, de ceux qui en parlaient (beaucoup) sans nécessairement changer leurs pratiques polluantes.
Désormais, ce concept est rejoint par le « greenhushing », c’est-à-dire la pratique, de la part d’un nombre croissant d’entreprises, de minimiser la communication sur leurs actions en faveur de la protection de la planète.
Pourquoi une entreprise vertueuse pourrait-elle vouloir minimiser ses efforts dans ce domaine ? Voici notre analyse, sans jargon.
Le retour de Trump impacte le marché des obligations vertes
Depuis la réélection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, les ventes d’obligations vertes dans le pays ont fortement chuté. Pour rappel, une obligation est qualifiée de « verte » lorsque son émetteur, typiquement une entreprise ou une institution financière, s’engage à déployer les fonds levés dans des activités qui contribuent à la protection de l’environnement.
Si le volume d’émissions de ce type se maintient en Europe, de nombreuses entreprises américaines ont cessé d’en émettre (sans nécessairement changer leurs pratiques vertueuses). En réduisant ou en minimisant la communication sur leurs activités environnementales, elles cherchent à éviter toute attention indésirable, notamment de la part du Président lui-même, connu pour ses positions climatosceptiques et son soutien infaillible à l’industrie pétrolière.
Des volumes d’émission en forte baisse
Selon la Climate Bonds Initiative, seulement 24,4 milliards de dollars d’obligations vertes ont été émises aux États-Unis à fin mai 2025, contre 43,3 milliards à la même période l’an dernier. Il s’agit du niveau le plus bas depuis 2021. En 2025, les obligations vertes américaines ne représentent plus que 9 % du marché mondial, contre plus de 14 % en 2021.

Un contraste avec l’Europe
Alors que l’activité recule aux États-Unis, l’Europe maintient un niveau d’émissions d’obligations vertes supérieur à celui de 2021. Cette divergence s’explique par les inquiétudes croissantes des dirigeants d’entreprises américaines face aux potentielles répercussions politiques d’une administration Trump, notoirement hostile aux politiques environnementales.
Un environnement propice au « greenhushing »
Le risque de surveillance administrative n’est pas le seul frein, mais il est majeur. En effet, Donald Trump a montré à de nombreuses reprises qu’il n’hésite pas à cibler spécifiquement des personnes, des entreprises et même des pays entiers lorsqu’ils ne partagent pas ses opinions et osent afficher publiquement leur opposition.
Cela pèse aussi sur la demande d’obligations vertes, puisque Trump et d’autres décideurs politiques républicains ont en partie interdit les investissements ESG (Environnement, Social et Gouvernance), arguant qu’ils étaient contraire aux intérêts de l’industrie pétrolière – très influente dans de nombreux États du sud du pays.
En conséquence, plusieurs grands gestionnaires d’actifs et grandes banques américaines se sont dissociés des initiatives en faveur de la protection de la planète, et les fonds labellisés ESG ont vu leurs encours baisser.
Le « greenium » s’effrite
Un autre enjeu pour les entreprises : le « greenium », c’est-à-dire l’avantage de taux offert par la dette verte, s’est réduit ces dernières années, rendant l’émission moins attractive.
Le secteur des obligations vertes s’est développé grâce à cet avantage financier (le «greenium», contraction de « green » et « premium ») dont bénéficiaient les émetteurs de ce type d’obligations. Dans le passé, un emprunteur pouvait s’endetter à un coût (modestement) inférieur à celui d’une dette traditionnelle, s’il s’engageait à déployer les fonds en faveur d’activités décarbonantes. La réduction de la demande pour cette classe d’actifs de la part des investisseurs américains a naturellement réduit cet avantage.
Des stratégies plus discrètes
Contrairement aux années précédentes, où les entreprises mettaient en avant leurs performances ESG, certaines financent désormais discrètement des projets verts via des dettes traditionnelles, sans label spécifique. Les banquiers prévoient que les entreprises continueront à financer des projets comme l’éolien ou le solaire, mais sans les présenter comme « verts ».
En résumé, s’il n’y a plus d’avantage financier associé à l’émission d’une dette verte, et qu’elle risque au contraire d’attirer les foudres des pouvoirs politiques, pourquoi l’afficher ?
Le marché des obligations vertes souffre de l’effet Trump
Le marché des obligations vertes est en baisse, accentuant le gouffre qui sépare l’Europe – où les émetteurs et les investisseurs continuent de soutenir ce secteur – et les États-Unis, où, sous la pression des pouvoirs publics et sous l’impulsion du Président Trump, l’offre (les émetteurs) et la demande (les investisseurs) sont sous pression pour réduire leurs activités dans le domaine.
Il faut espérer que les émetteurs continueront à financer des projets d’énergie renouvelable, tout en reconnaissant qu’ils pourraient de plus en plus éviter de les qualifier de «verts». Le greenhushing s’installe donc comme une réponse pragmatique à un contexte politique et économique devenu plus incertain pour la finance verte américaine.
