La parité Euro Dollars, est-ce grave?

Jul 16, 2022

Spoiler : pas vraiment. Mais depuis la création de l’Euro en 1999, le phénomène est quand même suffisamment rare pour que nous y consacrions un article. Car la parité euro/dollar, qui traduit la faiblesse de la devise européenne par rapport au Dollar, n’est pas sans conséquences non plus.

Petits rappels sur le change

Si vous êtes déjà un pro de la finance, vous pouvez passer à la partie suivante. Sinon, voici quelques principes utiles sur le marché du Forex (pour “foreign exchange”), sur lequel les différentes devises s’échangent entre elles. 

Le marché du change est gigantesque

Les volumes y surpassent aisément ceux des échanges sur les marchés actions. Il y en a pour 6 600 milliards de Dollars par jour, selon la dernière étude menée auprès des banques centrales en 2019. 

La devise américaine est impliquée dans un peu plus de 44% des transactions. Suivie par l’Euro, avec une part de marché d’environ 16%, et le Yen Japonais, qui concerne un peu plus de 8% des transactions.

Le “forex” attire (aussi) des investisseurs

Instinctivement, nous comprenons tous comment le change joue un rôle crucial dans la vie quotidienne. Vous allez changer vos Euros pour des Dollars en amont de votre voyage à New York. Inversement, les touristes étrangers qui visitent Paris ont tous acheté des Euros pour le faire. Les entreprises qui se fournissent en Chine vont payer leurs factures en Yuan. Et tous les pays qui importent du pétrole règlent typiquement leurs achats en US Dollars. Les transactions qui nécessitent un échange de devise contre une autre sont innombrables.

Mais au-delà des opérations de change initiées pour des raisons commerciales, de nombreux investisseurs s’impliquent sur le marché du forex pour y faire des bénéfices. Dans leur cas, il s’agit de prendre des positions pour spéculer sur l’évolution du cours d’une devise par rapport à une autre.

Imaginons qu’un investisseur anticipe un renforcement du Dollar contre l’Euro au début de l’année. En janvier, pour chaque Euro vendu, il aurait reçu environ 1,20 Dollars en contrepartie. Quelques mois plus tard, ce même 1,20 Dollars vaut non plus 1 Euro, mais 1,20 Euro. Ce qui représente un gain de 20% en 6 mois tout de même. 

La parité est largement symbolique

Comme ce graphique du Financial Times l’illustre, les cours de change évoluent en permanence, et l’évolution du cours de l’Euro contre le US Dollar n’est pas une exception. En fonction de l’offre et de la demande, un Euro a permis d’acheter jusqu’à 1,60 Dollars en 2008, mais a aussi déjà valu moins d’un Dollar, de 2000 à 2003.

En ce sens, le fait qu’un Euro vaille exactement un Dollar n’a rien d’exceptionnel en soi.

Mais la symbolique est importante, et la tendance baissière de l’Euro contre le Dollar mérite qu’on s’y attarde. Qu’est-ce qui peut expliquer la récente chute de l’Euro, et quelles en sont les conséquences ?

Est-ce le Dollar qui se renforce, ou l’Euro qui s’affaiblit ?

L’effet “valeur refuge”

Quand le contexte géopolitico-économique se complique, les investisseurs ont tendance à réduire leurs expositions au risque. Les lecteurs assidus de The Interest le savent : les marchés n’aiment pas l’incertitude. Or nous traversons aujourd’hui une période de stress. 

Côté économie, l’inflation s’est durablement installée à des niveaux élevés, forçant les banques centrales à réhausser les taux directeurs. Côté géopolitique, le conflit en Ukraine s’enlise et déclenche des sanctions économiques néfastes pour la croissance, sans parler de la catastrophe sur le plan humain. 

Dans ces moments-là, les investisseurs vendent traditionnellement (une partie) de leurs placements en actions, pour les mettre en sécurité sur les positions moins volatiles. C’est ce qui explique les fortes corrections des valeurs technologiques aux US et en Europe. C’est aussi probablement ce qui explique, en partie, les récentes saignées sur le marché des cryptos.

Le cash ainsi obtenu doit alors être mis à l’abri. Et l’US Dollar fait partie des actifs perçus comme “sûrs”. Il est une des fameuses “valeurs refuge”, aux côtés de l’or et du franc suisse par exemple.

L’Euro, à l’inverse, ne jouit pas d’une telle réputation. Comprenons nous bien : un cinquième des réserves des banques centrales et un quart des émissions obligataires dans le monde sont libellées en Euros. C’est une devise majeure. Mais (et c’est un grand mais) elle est bien plus exposée aux conséquences de la guerre en Ukraine. Le futur de l’économie Européenne dépend en partie des importations de gaz russe, dont les volumes ont déjà beaucoup baissé. Une coupure totale de ces importations — scénario de plus en plus plausible — pourrait imposer un rationnement énergétique cet hiver, et déclencher une récession sur le vieux continent. 

Dans ce contexte, un investisseur rationnel à la recherche d’un endroit sûr pour parquer ses liquidités va favoriser la devise américaine. 

Le Dollar de plus en plus intéressant ?

C’est d’autant plus vrai qu’en parallèle, le dollar paie de mieux en mieux. En effet, la banque centrale américaine, la Federal Reserve (ou FED pour les intimes), a démarré une série de hausses de ses taux directeurs. La dernière en date — 0,75% le mois dernier — s’est accompagnée d’un message clair : la FED ne s’arrêtera pas tant que l’inflation persiste. Les taux directeurs sont désormais situés entre 1,50% et 1,75%, et une nouvelle hausse des taux de 0,75% est largement anticipée en juillet.

Le Dollar permet donc de mettre son cash à l’abri tout en générant des intérêts. Tandis qu’en Europe, les taux directeurs restent encore négatifs. La Banque Centrale Européenne dirigée par Christine Lagarde a signalé que son programme de hausse de taux se ferait à pas beaucoup plus modérés. On anticipe un relèvement de taux de “seulement” 0,25% en juillet.

Selon la loi de l’offre et de la demande, si les liquidités en US Dollar rapportent plus que celles en Euros, la demande pour le Dollar augmente. C’est d’ailleurs vrai pour la plupart des autres devises, comme le Yen japonais. Depuis le début de l’année, le Dollar s’est apprécié contre la plupart d’entre elles.

Ceci étant dit, l’Euro ne s’est déprécié que de 1,6% lorsqu’on mesure son cours par rapport à un panier de 42 devises étrangères. Dit autrement : ce n’est pas l’Euro qui s’affaiblit. C’est le Dollar qui se renforce.

Des conséquences graves en Europe

La facture énergétique augmente

Le coût de l’énergie est en forte hausse. Cette hausse des prix du pétrole et du gaz est particulièrement douloureuse pour l’Europe car dans ce secteur, les contrats se payent en Dollar. Quand le cours du “greenback” monte, la facture énergétique augmente d’autant.

Une étude publiée par la Deutsche Bank estime que la baisse de l’Euro contre le Dollar impactera la balance des paiements de la zone euro de 400 milliards d’euros.

L’inflation s’accélère

La chute de l’euro contribue aussi à la hausse de l’inflation. En effet, plus l’euro est bas, plus nos importations nous coûtent chers, contribuant ainsi à la hausse de 8,6% des prix à la consommation, constatée au mois de juin.

Toujours selon la Deutsche Bank, toute dépréciation de 10% de l’Euro contre le Dollar se traduit par 0,2% d’inflation de plus pour la zone euro. La faiblesse de notre devise n’est donc pas la source principale de l’inflation, mais elle y contribue.

Les exportations boostées ?

Le contre-argument est qu’une devise faible permet de stimuler les exportations. Sans doute. Mais à l’heure actuelle, le poids des importations, notamment de ressources énergétiques, pèse bien plus dans la balance.

En conclusion, le fait que le Dollar et l’Euro soient — de nouveau — à parité n’est pas en soi inquiétant. Atteindre ce seuil symbolique ne fait que refléter l’évolution d’un cours de change résultant de changements cycliques dans l’économie mondiale. Mais la tendance est significative et pourrait devenir structurelle si la crise énergétique impacte la compétitivité du Vieux Continent.

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