Dans le passé, les gouvernements se tournaient fréquemment vers les particuliers pour s’endetter. Par exemple, pour financer des guerres. Ils faisaient ainsi appel au sens patriotique de la population, pour collecter l’argent nécessaire au paiement des troupes, des armes, ou encore des infrastructures nécessaires à l’effort de guerre.
Aujourd’hui, les grandes nations ont toujours d’importants besoins de financement. Elles s’endettent pour financer la sécurité sociale et l’éducation nationale, payer les salaires des fonctionnaires, etc. Mais elles le font typiquement à travers l’émission d’obligations qui sont placées auprès de gérants de fonds, de sociétés d’assurance et autres caisses de retraite. Nous les désignerons, ensemble, comme les “investisseurs institutionnels”.
Mais voici que depuis peu, nos voisins européens visent à nouveau très directement les particuliers, et lèvent — avec succès — des sommes importantes auprès des particuliers.
Pourquoi certains États procèdent ainsi ? Quel est intérêt pour l’épargnant ? Et si on souhaite en faire autant, peut-on investir dans la dette de notre propre nation ?
Les états s’endettent auprès de leurs populations
Le volume d’émissions obligataires visant les particuliers en forte hausse
L’Italie, la Belgique et le Portugal ont massivement augmenté les volumes de dette qu’ils placent directement auprès de leurs populations. Ainsi, en 2023, ces trois nations ont déjà levé 60 milliards d’euros en vendant des obligations d’Etat aux épargnants individuels locaux. L’année dernière, cette somme n’était que de 26 milliards d’euros.
En octobre, l’Italie retournera sur le marché “retail” pour solliciter les investisseurs individuels italiens avec une les obligations “BTP Valore”, spécialement conçues pour eux. En juin dernier, l’État italien avait déjà collecté un montant record de 18 milliards d’euros avec ce même format.
Le mois dernier, nos voisins Belges sont allés plus loin, en émettant pour 22 milliards de dette obligataire à un an, placés en totalité auprès des épargnants belges (soit plus de 4 fois le montant initialement espéré). Ces obligations versent un coupon de 3,3%.
Le Portugal aussi a connu un franc succès. Le pays s’est endetté directement auprès des particuliers pour 11 milliards d’euros, rien qu’en 2023.
De nombreux avantages économiques pour les États
D’où vient cet engouement des émetteurs pour leurs populations ? Il y a au moins deux raisons claires qui poussent un nombre croissant de pays à s’endetter directement auprès des épargnants domestiques.
Un avantage de coût : la dette coûte moins chère
Les épargnants individuels sont, par nature, moins sophistiqués que les grands investisseurs institutionnels. Par ailleurs, un phénomène de patriotisme peut les pousser à accepter une rémunération légèrement plus basse, s’il s’agit de contribuer au financement de l’économie du pays.
Il en découle que les Etats émetteurs arrivent à obtenir des conditions de financement légèrement plus favorables auprès des investisseurs individuels que lorsqu’ils placent leurs obligations auprès d’institutionnels.
Prenons l’exemple de l’émission obligataire belge à un an, versant 3,30% d’intérêts. Au même moment, le Treasury Bill (réservé aux “pros”) de la Belgique à un an offrait un rendement de 3,60%. L’Etat belge s’épargne donc 0,30% d’intérêts sur 22 milliards d’euros.
L’émission de dette “en direct” permet aussi aux Etats émetteurs de se passer des intermédiaires bancaires traditionnellement chargés de placer les obligations auprès des investisseurs institutionnels. Cela leur économise les commissions de placement usuelles associées à cette activité. Ces commissions représentent quelques points de base (un point de base est égal à un centième de pour cent) que l’Etat s’abstient donc également de verser. C’est un deuxième poste d’économies appréciable, mais dont il ne faut pas exagérer l’importance. Car, en contrepartie, les États doivent gérer la mise en place du livre d’ordres afin de collecter l’ensemble de la demande très granulaire des épargnants individuels, avant de procéder à l’allocation des obligations à des milliers de souscripteurs. Et cela a évidemment également un coût.
Une diversification des sources de financement
En faisant appel à l‘épargne publique, les Etats diversifient leurs sources de financement. Et réduisent donc naturellement leur dépendance vis-à-vis des institutionnels. Selon la loi de l’offre et de la demande, en réduisant structurellement leur offre de dette proposée aux investisseurs professionnels, les gouvernements devraient donc pouvoir aussi s’endetter à des taux plus faibles sur le marché institutionnel.
C’est donc un double effet kiss cool. Les épargnants individuels sont prêts à acheter de la dette à un rendement (légèrement) inférieur auquel cette même dette s’échange sur le marché des institutionnels. Et en réduisant le montant à lever auprès des professionnels, les émetteurs devraient pouvoir bénéficier de conditions plus attractives sur ce segment institutionnel également.
En combinant les deux effets, l’Etat belge estime qu’il réduira le coût de sa dette d’au moins 156 millions d’euros sur les 10 ans à venir.
L’attractivité des obligations d’état pour les particuliers
Mais le deal n’est pas que bon pour l’émetteur étatique. Les investisseurs particuliers aussi s’y retrouvent.
Des rendements supérieurs les taux d’intérêts proposés par les banques
Le tableau ci-dessous met en évidence l’écart par pays entre le rendement proposé par une obligation d’Etat à 2 ans et le taux d’intérêt moyen versé sur un livret bancaire classique.
On voit aisément qu’un investisseur pouvant placer son épargne à 24 mois peut (dans certains pays) significativement augmenter son rendement, en choisissant d’investir dans des obligations de son pays, plutôt qu’en plaçant son argent sur un livret bancaire. C’est plus de 2% de mieux en Espagne, au Portugal et aux Pays-Bas !
Il se dit d’ailleurs qu’une des motivations politiques derrière les émissions obligataires étatiques ciblant la population est d’ainsi mettre la pression sur les banques pour qu’elles augmentent les intérêts qu’elles versent sur leurs livrets.
Parfois, un avantage fiscal
Pour amplifier ce différentiel de taux, il est important de noter que dans certains pays ces obligations étatiques sont assorties d’avantages fiscaux. En Belgique et en Italie, les intérêts versés sur ces titres bénéficient d’un taux d’imposition inférieur de moitié au taux d’imposition usuel. En Grèce, les intérêts versés sont tout bonnement défiscalisés.
Un risque de contrepartie meilleur
Un rendement plus élevé va typiquement de pair avec un risque plus important. Ici, c’est l’inverse. Plutôt que de laisser votre argent dans une banque (qui pourrait faire défaut), en investissant dans des obligations d’Etat votre risque est que le gouvernement ne vous rembourse pas.
Cela peut arriver, mais en Europe c’est très rare. Et si l’Etat français était en incapacité de vous rembourser, il est fort à parier que les banques françaises connaîtraient des difficultés bien plus graves encore.
Bref, déposer votre épargne dans une banque française représente un risque très faible (d’autant plus que jusqu’à 100 000 euros, vous bénéficiez du Fonds de Garantie des Dépôts et de Résolution), mais il est non nul. La signature de l’Etat français est de meilleure qualité.
Autrement dit, si vous vous méfiez de la santé financière de votre banque, un placement en obligations d'État vous permet de réduire votre exposition à ce risque.
Un épargnant français peut-il investir en obligations de la nation ?
La réponse courte est oui. Mais elle mérite quelques explications.
Les Obligations Assimilables du Trésor
L’État français se finance notamment par l’émission d’OATs, les Obligations Assimilables du Trésor. C’est l’agence France Trésor qui assure l'émission de ces titres obligataires, qui ont des maturités allant de 7 à 50 ans, et qui, pour la très grande majorité d’entre elles, sont à taux fixe. C’est-à-dire que l’investisseur qui détient une OAT à taux fixe recevra un intérêt constant, appelé coupon. Celui-ci est déterminé à la date d’émission de l’OAT, et est versé tous les semestres jusqu’à maturité. À l’échéance, l’investisseur récupère également sa mise initiale (son capital).
Une des particularités des OAT est qu’elles sont assimilables. Ce qui signifie que chaque nouvelle émission est rattachée aux émissions précédentes de même nature. Au fil du temps, ces lignes obligataires grandissent pour atteindre des dizaines de milliards d’euros, ce qui facilite les échanges dans le marché secondaire. Les OATs sont des obligations dites liquides, dont le format est délibérément standardisé à l’extrême.
Les OAT principalement destinés aux institutionnels
Elles sont placées en très grande majorité auprès des investisseurs institutionnels. Notamment à leur émission (ce qu’on appelle aussi le marché primaire), les OATs sont distribuées par les banques intermédiaires spécialistes, désignées par le terme de Spécialiste en Valeurs du Trésor (SVT). Les SVT vendent les OAT nouvellement émises aux investisseurs professionnels, domestiques et internationaux.
Ce n’est qu’après leur placement initial, et une fois que les titres obligataires s’échangent librement sur ce qui est appelé le marché secondaire, qu’en théorie les investisseurs individuels ont accès aux OATs.
En effet, l’agence France Trésor a conclu un partenariat avec Euronext pour permettre aux épargnants particuliers de pouvoir acheter des OAT. Pour cela, il est nécessaire de disposer d’un compte titres et de placer un ordre d’achat auprès d’un courtier. Nous précisons à cette occasion que le courtier facturera sans doute des frais de courtage pour exécuter cet ordre.
Pour revendre les OATs avant leur échéance, la procédure est la même ; il s’agit de placer un ordre de vente à votre courtier, qui l’exécutera dans la foulée. Précision importante, alors que le vous êtes certain de récupérer votre capital (et les intérêts dus) à maturité, si vous décidez de vendre les OATs avant leur terme, vous vous exposez au risque de marché.
Car, comme toute obligation, avant leur échéance, le prix des OATs peut varier à la hausse comme à la baisse dans le marché secondaire, notamment en fonction du niveau des taux d’intérêts.
Donc pour résumer, il n’y a pas aujourd’hui un programme d’émission en France ciblant spécifiquement les épargnants individuels. Mais les épargnants renseignés (et disposant d’un compte titres) peuvent y accéder, une fois les obligations émises.
Investir en OAT, quel intérêt ?
L’investissement en direct par l’investisseur individuel en OAT est-il pertinent ? Pendant un temps, le rendement sur ces instruments était négatif. C’est-à-dire que l’investisseur prêtait de l’argent à l’État français en acceptant non seulement de ne rien gagner, mais en acceptant aussi de se faire rembourser (un peu) moins que le montant du prêt initial !
Depuis quelques mois, l’environnement de taux a radicalement changé. Et la France est à nouveau obligée de payer des intérêts pour s'endetter. Pour être plus précis, elle paie désormais plus de 3,50% pour s’endetter sur 12 mois.
Ce qui se compare plutôt favorablement avec les taux d’intérêts versés sur les livrets bancaires classiques, qui se situent, en moyenne, autour de 0,70%.
Mais attention :
- Un investissement en OAT (ou en Bons du Trésor, qui sont l’équivalent des OATs sur des maturités plus courtes) est un investissement à terme. Si vous avez besoin des liquidités investis, vous pouvez accéder en permanence à votre livret. Vendre une obligation est un peu plus complexe et vous expose à un risque de marché, qui peut se traduire par une perte en capital.
- Le 0,70% est le taux versé en moyenne par les banques. Dans la pratique, il existe de gros écarts entre les livrets des différentes banques. Et notamment entre le taux d’intérêt versé sur un livret traditionnel proposé par une grande banque de réseau, et les super livrets proposés par les banques spécialisées. Ainsi le livret Cashbee verse aujourd’hui 4% pendant quelques mois, suivi de 2,80%.
Comparer les produits de taux
Dans un contexte mouvant, le meilleur conseil que nous pouvons donc donner à ceux qui s’intéressent aux placements prudents et défensifs, tout en visant le meilleur rendement possible, est de rester à l'affût et de bien comprendre et comparer les différents produits de taux. Selon une échelle qui prend en compte tous les variables, dont notamment :
- Montant d’investissement minimal (un livret peut typiquement s’ouvrir à partir de 10 euros) ;
- Support nécessaires : un compte titres pour les OAT ;
- Rendement net, en tenant compte des frais de courtage à l’achat comme à la vente des obligations ;
- Échéance : un livret offre une liquidité permanente, une OAT peut être vendue à tout instant, mais expose l’investisseur à un risque de marché ;
- Risque de contrepartie : le risque du défaut bancaire pour le livret vs. la signature de l’État pour les OAT
On arrive alors fréquemment à la conclusion que les deux solutions sont complémentaires, avec un (super) livret pour l’épargne de précaution et - dans un contexte où les taux d’intérêts ont fortement augmenté - un placement d’une partie de votre épargne longue en obligations longues. Pour cette seconde poche, il s’agira ensuite de chercher le couple risque / rendement qui vous convient le mieux. Pour les plus prudents, les OATs constituent alors une alternative pertinente.
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