Investissement ESG: état des lieux

Aug 15, 2023

C’est en tous cas la conclusion de Kelly Shue, professeure de la prestigieuse université américaine de Yale. Nous ne sommes pas nécessairement d’accord avec l’ensemble de son analyse mais elle mérite l’attention de tout épargnant qui veut donner une dimension responsable à son portefeuille.

Le but initial de l’investissement éco (et socialement) responsable

De plus en plus épargnants individuels et de gestionnaires de fonds souhaitent donner du sens à leurs placements. Dans le cas des seconds, c’est d’ailleurs souvent sous l’influence des premiers. C’est pour aider ces investisseurs dans leurs choix que le label ESG a été inventé. L'abréviation signifie Environnement, Social et Gouvernance. Une société avec une empreinte carbone faible, qui verse des rémunérations équitables à ses salariés (dont elle favorisera la diversité, et le bien-être) et qui est gérée de façon transparente, obtiendra un score élevé sur ces critères. 

À l’inverse, toute entreprise dont les activités seraient polluantes, et qui pourrait (entre autres) exploiter sa force de travail ou celle de ses fournisseurs sera très sévèrement jugée sur les critères ESG.

La théorie : financer les entreprises vertueuses en retirant le capital des entreprises polluantes

Les investisseurs sensibles à ces différents critères peuvent utiliser les données ESG de plus en plus détaillées pour diriger leur capital vers les sociétés vertueuses. Par symétrie, cela prive les entreprises les moins bonnes élèves de précieux financements.

Évidemment, si seuls quelques investisseurs adoptent cette stratégie, il n’y aura pas vraiment de conséquences pour les entreprises visées. Mais si une proportion importante de l’argent à investir se détournait des entreprises les moins bien notées, cela changerait la donne.

Or l’investissement socialement responsable est de plus en plus populaire. D’abord, sous l’effet d’un réel désir des épargnants de “voter avec leur portefeuille”. Ensuite, sous l’impulsion d’investisseurs institutionnels, qui, soit par conviction, soit pour des raisons de positionnement concurrentiel, accentuent leurs investissements dans le domaine ESG.

Au total, il y aurait déjà 2 500 milliards de Dollars investis en fonds ESG, selon Morningstar, qui voit le secteur croître à un rythme deux fois plus élevé que le secteur de l’investissement traditionnel. 

Cela veut dire qu’il y a de plus en plus de capital qui se détourne des secteurs polluants, comme l’extraction de charbon, l’industrie pétrolière, ou encore le transport, pour se transposer notamment vers des secteurs de service, comme les sociétés technologiques ou encore les services financiers.

L’effet sur le coût de financement

La conséquence de cette bascule est qu’il devient de plus en plus facile — et donc moins cher — pour des entreprises vertueuses de se financer. Inversement, l’accès aux capitaux devient de plus en plus restrictif pour les sociétés polluantes. En théorie, le renchérissement du coût de financement devrait pousser les mauvais élèves à changer de comportement et devenir plus éco et socialement responsables.

Oui, mais …

Qu’en est-il dans la pratique ?

Les conclusions surprenantes de Kelly Shue

Le E domine le S et le G

La première observation faite par la prof, après une analyse approfondie des données, est que le terme ESG essaie de regrouper trois concepts très différents (Environnement, Social et Gouvernance), mais pas à proportions égales. En effet, plus de la moitié des sociétés reconnues pour leurs efforts ESG se focalisent sur leur impact environnemental. 

Dit autrement, en investissant dans des sociétés labellisées ESG, vous favorisez surtout les entreprises éco-responsables. Qui ne seront pas nécessairement socialement justes et gérées de façon transparente et équitable envers l’ensemble des parties prenantes (actionnaires, créditeurs, personnel…).

Est-il utile d’encourager les entreprises vertueuses ? 

Pour réduire l’empreinte carbone, vaut-il mieux se concentrer sur les entreprises vertueuses ou les sociétés polluantes ? Le professeur Shue conclut que les entreprises bien notées en ESG ont, en moyenne, des empreintes carbone 260 fois inférieures aux sociétés polluantes. Il serait donc plus efficace de réduire l’empreinte carbone des sociétés les moins performantes de 1%, que d’éliminer la totalité de l’empreinte carbone (restante) des sociétés les plus vertueuses. 

Dit autrement, selon le professeur Shue il serait bien plus efficace de focaliser les efforts de décarbonation sur les entreprises plus polluantes, que d’essayer de réduire plus encore l’empreinte carbone des sociétés éco-responsables.

Ce qui peut se faire par exemple en devenant (ou en restant) actionnaire des sociétés polluantes, afin d’exprimer son point de vue aux dirigeants et de faire voter des mesures éco-responsables aux Assemblées Générales.

Les effets pervers du renchérissement du coût de financement

En outre, le professeur Shue a remis en cause le lien de causalité théorique entre le renchérissement du coût de financement d’une entreprise d'une part, et ses efforts pour décarboner ses activités, ou même de les réorienter, d’autre part.

Son étude montre que le l’investissement ESG commence à avoir l’effet attendu sur le coût de financement et l’accès au capital des sociétés polluantes. Mais elle prouve aussi que lorsque cet effet se fait sentir, et que la santé financière de ces entreprises se détériore, la réaction des dirigeants n’est typiquement pas aussi vertueuse que prévu. Car dans ce scénario, le management, sous pression, tend à devenir plus court termiste dans sa prise de décision, ce qui va rarement dans le sens d’une gestion durable. 

Plutôt que d’investir sur une décarbonation progressive de leurs activités, dont les fruits seront récoltés sur une période très longue, ces entreprises polluantes ont tendance à vouloir réduire leurs coûts rapidement et de jouer le tout pour le tout… et donc devenir plus polluantes.

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Alors, que penser de l’investissement ESG ?

Un train en marche, heureusement inarrêtable

Il nous semble que l’argent et l’investissement peuvent et doivent jouer un rôle important dans la transition énergétique, la décarbonation, l'équité sociale et la gouvernance. 

Selon une étude de Capital Group, 89% des investisseurs déclarent que les critères ESG sont pris en compte dans leur décisions d’allocation de capital. Le mouvement, créé en 1960 est désormais en marche et il semble inarrêtable.

Ceci, dans son ensemble, est une bonne chose pour la planète et notre société.

La critique constructive de l’analyse du professeur Shue

Maintenant, comme toute nouveauté, il faut que le secteur continue de se développer. L’analyse du professeur Shue y contribue indéniablement, mais peut elle-même être critiquée : 

  • Son analyse se fonde sur le principe fondamental que l’investissement ESG se fait par exclusion. Et qu’en excluant des secteurs entiers de l’économie, on ne favorise pas la décarbonation. Or certains gestionnaires de fonds l’ont bien compris et proposent une approche “best-in-class”, qui consiste à sélectionner les entreprises les plus vertueuses dans toutes les industries, y compris les industries polluantes comme le pétrole ou les matériaux de construction, afin d’encourager les meilleurs élèves.
  • Inversement, nous pourrions contester la véritable vertu de plusieurs secteurs de services, qui ressortent pourtant très haut sur certaines mesures ESG. Prenons le cas du secteur bancaire. Certes, les banques elles-mêmes ont une empreinte carbone modeste, relative à leurs chiffres d’affaires, ce qui leur permet d’avoir de bons scores ESG. Mais certaines d’entre elles financent activement des entreprises très polluantes. En prenant en compte cet effet indirect, leur score ESG se détériore significativement.

L’ESG trop englobant et donc peu tangible

Le fond de l’argumentaire du professeur Shue nous semble néanmoins difficilement contestable. À force de vouloir regrouper trois critères distincts et difficilement mesurables ensemble, les spécialistes ont rendu la “durabilité” des entreprises très complexe à comprendre pour le commun des mortels.

Cette complexité s’est encore renforcée avec les différentes méthodes appliquées par les spécialistes et agences, comme Moody’s, Bloomberg, Morningstar etc., qui cherchent tous à gagner des parts de marché en espérant que leur méthode s’impose comme la référence ESG sur les marchés financiers.

Une entreprise peut donc être jugée éco-responsable par l’un, et désignée polluante par un autre “expert”.

Plus d’homogénéité nécessaire, au risque de voir un essoufflement ?

Alors que de plus en plus de sociétés, notamment des entreprises cotées, ont adopté des politiques ESG et produisent de plus en plus de datas sur leur performance sur ces critères, il serait utile de créer une plus grande homogénéité entre les façons d’interpréter ces données.

Sans cela, les épargnants risquent de se méfier de plus en plus de labels “verts”. Et il serait également plus facile pour les dirigeants d’entreprises sous pression d’exploiter les failles du système pour se positionner comme éco-responsable, sans réellement changer de pratiques (ce qu’on appelle faire du greenwashing).

D’ailleurs, c’est bien parce que ces notations n’étaient jugées suffisamment précises que l’agence de notation S&P a récemment décidé d’arrêter d’attribuer des notes ESG aux entreprises qu’elle analyse.

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