Le Texas contre les investissements responsables

Aug 30, 2022

L’investissement responsable (souvent désigné par l’acronyme ISR, pour Investissement Socialement Responsable ou ESG, pour Environnement, Social et Gouvernance), est en très forte croissance depuis quelques années. Car de plus en plus d’épargnants veulent que leur argent soit déployé de façon à générer des retours financiers attractifs, tout en contribuant à la protection de la planète et à l’équité sociale. Ils exigent donc que leurs gestionnaires sélectionnent les placements aussi en fonction de leur virtuosité environnementale et sociale.

Voilà qu’un mouvement contraire prend de l’ampleur aux États-Unis, avec des États comme le Texas, très dépendante du pétrole, qui menacent de boycotter une dizaine d’institutions financières qui refusent de financer ce secteur d'activité. Explications.

Comment la finance peut (doit ?) contribuer à la décarbonation du monde

L’investissement socialement responsable vise de nombreux objectifs, comme l’équité sociale, la transparence sur la gouvernance et la lutte contre le travail des enfants par exemple. Mais dans cet article nous nous focaliserons sur l’aspect environnemental et en particulier la lutte contre le réchauffement climatique.

Une des raisons pour lesquelles ce secteur de l’investissement a explosé, est qu'un nombre croissant d’épargnants souhaitent exprimer leurs convictions en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Et dirigent donc leur argent vers les gestionnaires qui s’engagent sur cet objectif dans leur placements. Ils tiennent compte de l’impact environnemental dans la constitution de leurs fonds. 

Plusieurs techniques pour investir de manière responsable

Nous y avions déjà consacré un article, mais pour investir de façon responsable, il y a plusieurs façons de le faire. Un gestionnaire peut s'interdire d’investir dans des secteurs entiers de l’économie, perçus comme étant “sales” - comme l’industrie de l’extraction de charbon, du pétrole, de l’aviation et du textile - pour se concentrer uniquement sur les secteurs “propres”. Il procède par exclusion sectorielle. Alternativement, il peut s’engager à sélectionner uniquement les acteurs les plus vertueux en matière de protection de l’environnement, dans chaque secteur d’activité. C’est l’approche dite “best-in-class”.

Quelque soit la méthode retenue, on voit bien comment la croissance de l’investissement responsable détourne progressivement l’épargne des grandes sociétés de pétrole et d’extraction minière.

S’y ajoute un mouvement similaire de la part des banques, qui, sous la pression de leurs actionnaires, s’engagent à limiter les prêts qu’elles feront aux entreprises actives dans les secteurs les plus polluants (voire même de se désengager totalement de ces secteurs). 

L’investissement responsable a un impact significatif

La combinaison de ces facteurs rend la vie de plus en plus difficile pour certains grands groupes - notamment pétroliers - qui ont de plus en plus de mal à attirer le financement dont ils ont besoin pour leurs activités et investissements.

Et dans un état comme le Texas, où une grande partie de la vie économique et de l’emploi dépend du pétrole, ces sociétés ont un poids gigantesque. Pas étonnant de les voir se défendre contre cette pression pro-environnementale croissante.

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Le Texas vs. l’ESG

Une loi pour se défendre

Le Texas est l’état américain qui produit le plus de pétrole et de gaz. Les baby-boomers se souviendront de la série télévisée Dallas, où la famille Ewing, et notamment le fils ainé JR, avait bâti sa fortune sur l’extraction de l’or noir.

L’année dernière, cet État adopte une loi dénonçant les pratiques d’investissement ESG comme une activité potentiellement nuisible à l’industrie pétrolière. Les statuts de cette loi exigent que les fonds d’investissement publics vendent leurs participations dans des institutions financières qui, selon le gouvernement texan, “boycottent les entreprises énergétiques”. De très grands investisseurs institutionnels sont concernés, notamment les fonds de retraite des fonctionnaires et les fondations des universités étatiques.

Le boycott en question est défini comme “refuser de faire affaires, cesser une relation d’affaires ou entreprendre toute action ayant pour intention de pénaliser, causer un préjudice économique ou de limiter des relations commerciales avec une société” dans l’industrie des énergies fossiles (qui ne se serait pas engagée sur un certain nombre d'objectifs de décarbonation).

La loi retourne en quelque sorte l’arme du désinvestissement contre les fonds éco-responsables. Si ceux-ci retirent délibérément leur capital des sociétés pétrolières au Texas, alors le Texas forcera ses grands investisseurs étatiques à vendre leurs participations dans ces fonds.

Le Texas passe à l’attaque

La semaine dernière, l’État s’est formellement appuyé sur cette loi pour désigner dix institutions financières, accusées de boycotter l’industrie pétrolière texane. Cela pourrait conduire les fonds de pension étatiques - qui gèrent des milliards de Dollars - à devoir vendre leurs actions.

Sur les 10 institutions désignées, une seule est américaine, mais elle est de taille. Il s’agit de Blackrock, un des plus grands fonds de gestion du monde. Les autres sont toutes européennes. Il s’agit de BNP Paribas, Crédit Suisse, Danske Bank, Jupiter, Nordea Bank, Schroders, Svenska Handelsbanken, Swedbank et UBS. Les banques scandinaves sont proportionnellement sur-représentées, car très engagées sur le sujet de l’ISR.

Prenons un cas concret. Le fonds de pension des enseignants, le Teacher Retirement System of Texas, est le 20ème fonds de pension du monde, avec 160 milliards de Dollars d’actifs sous gestion. Il détient plus de 40 000 actions de Blackrock, pour une valeur de 28 millions de Dollars. Participation qu’elle pourrait être forcée de vendre, pesant ainsi potentiellement sur la valorisation de Blackrock.

Le paradoxe pour les investisseurs ESG désignés

Les 10 institutions financières se retrouvent dans une situation délicate. D’un côté, elles ont toutes effectivement engagé des démarches ISR et se sont positionnées comme des leaders dans le domaine. Mais dans le même temps, la menace du Texas est réelle pour celles d’entre elles qui y génèrent une partie de leurs profits et/ou dont les actions sont en partie détenues par des investisseurs publics Texans.

Tout en dénonçant la stratégie aggressive adoptée par le Texas, certaines des institutions menacées se retrouvent donc à déclarer leur soutien à l’industrie du pétrole texane !

Ainsi, Blackrock s’est empressé de déclarer qu’elle a investi plus de 100 milliards de Dollars dans le secteur. Et d’ajouter qu’il est le second actionnaire d’ExxonMobil, le super-major, basé au Texas.

Les banques suisses UBS et Crédit Suisse ont également publiquement exprimé leur désaccord avec la décision, la dernière précisant qu’elle avait des “partenariats actifs et des relations commerciales fortes avec des clients dans le secteur de l’énergie''.

La morale de l’histoire ?

Dans les faits, les institutions financières concernées peuvent adresser la menace de la loi texane relativement facilement. Pour le gestionnaire, il “suffira” de déclarer dans tout contrat de gestion futur signé avec les fonds de pension texans qu’il “ne boycotte pas les sociétés énergétiques.” 

Mais c’est là où la tension s’installe. Car peut-on se targuer avec crédibilité d’être un leader de l’investissement éco-responsable, tout en signant ce type de clause au Texas ?

Pour les banques et les gestionnaires de fonds il faudra sans doute bientôt choisir son camp. Car dans le même temps que le Texas pousse les banques à soutenir son industrie pétrolière polluante, d'autres états, a Californie en tête, introduisent des lois exigeant que ses fonds de retraite publics ne travaillent qu'avec des gestionnaires éco-responsables !

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