Le déclin d’un groupe français puissant
Un fondateur visionnaire, Jean-Luc Lagardère
Jean-Luc Lagardère était ingénieur de formation. On dit de lui qu’il était travailleur, … très travailleur. Sa force de travail, combinée avec son flair, son charme, et son sens des affaires, lui ont permis de bâtir un groupe industriel diversifié puissant, en partant de rien.
Son parcours remarquable fait de lui un des entrepreneurs emblématiques dans les années 90. Un modèle à suivre pour Bernard Arnault, Vincent Bolloré ou encore François Pinault. À sa mort soudaine en 2003, il laisse un groupe industriel diversifié, actif dans de nombreux domaines, allant de l’aéronautique aux médias, à son fils unique Arnaud. Le groupe détient notamment une part importante dans Airbus et génère alors un chiffre d’affaires d’environ 13 milliards d’euros par an.
Un héritier flamboyant, Arnaud Lagardère
Le père fondateur n’avait pas fait que des “bons coups” (il devra notamment liquider la chaîne télévisée “La Cinq” dont il avait pris le contrôle), mais dans l’ensemble il avait accumulé de beaux succès. Une fois son fils Arnaud installé à la tête du groupe, les mauvais choix stratégiques s’enchaînent.
Passionné de tennis, Arnaud se désinvestit de l’aéronautique pour investir des centaines de millions d’euros dans le domaine du sport. Il multiplie les initiatives (droits de retransmission, marketing d’événements sportifs, représentation d’athlètes) qui s’avèrent toutes peu rentables. Cela l’oblige d’enregistrer des provisions significatives, qui viennent affaiblir la santé financière du groupe.
Cela pèse aussi sur la crédibilité d’Arnaud Lagardère, qu’on continue d’appeler “l’Héritier”, avec un soupçon d’ironie. Baron de la presse, il se fait connaître pour son train de vie flamboyant, et son épouse top-modèle, plus que pour son ardeur au travail.
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Ouvrir un livretLe groupe Lagardère, une société en commandite par action
Un bouclier anti-OPA efficace …
Jean-Luc Lagardère avait bien préparé sa succession d’un point de vue juridique. Son groupe avait adopté la forme d’une société en commandite par action, ce qui permet à la famille Lagardère de contrôler le groupe, sans disposer d’une majorité du capital. Le fils Arnaud dirige donc le groupe en ne possédant que 7% des parts. Tant que la structure juridique est maintenue, il est indéboulonnable.
… finit par être levé
Les milliardaires et entrepreneurs français Bernard Arnault (fondateur et PDG du groupe LVMH) et Vincent Bolloré (fondateur du groupe éponyme) observent le déclin de Lagardère dont ils convoitent les activités médiatiques (Journal du Dimanche, Paris Match, Europe 1). Quand Arnaud Lagardère a besoin de financements en urgence, les deux rivales se positionnent et conditionnent leur aide financière au changement de statut de l’entreprise en difficulté.
En juin 2021, ce sera chose faite, Lagardère n’est plus une société en commandite. Et sans ce statut, elle devient une proie pour les acquéreurs potentiels. Surtout que la cible à avaler est devenue bien plus modeste en taille : en 2021, Lagardère ne génère plus que 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Vincent Bolloré ne perd pas de temps. Le patron de Vivendi détient déjà 27 % de Lagardère. Il décide de lancer une OPA qui lui permet d’acquérir la majorité des parts du groupe en juin 2022. En novembre 2023, Bruxelles donne son feu vert et Vincent Bolloré prend officiellement les commandes. Il laisse à Arnaud Lagardère le poste de président du conseil d’administration du groupe.
Le dernier acte est plutôt triste. Car Arnaud Lagardère a dû démissionner de son poste parce qu’il a été mis en examen. Accusé d’abus de biens sociaux, il est soupçonné d'avoir puisé dans les comptes de ses sociétés pour financer son train de vie pendant plusieurs années.
Comment préparer la génération future, dans les entreprises familiales ?
La transmission ratée de Jean-Luc Lagardère
Refaire le match, c’est toujours facile. Mais, avec le recul, il apparaît clairement que la transmission de pouvoir d’une génération à l’autre n’a pas réussi dans ce cas précis. Les explications de cet échec sont sans doute pour partie à trouver dans le passé. Jean-Luc Lagardère était connu pour passer de longues heures au bureau, et donc peu de temps en compagnie de son fils. À qui il a offert une vie très luxueuse.
Cela n’a certainement pas optimalement préparé Arnaud Lagardère à prendre des responsabilités importantes et à assumer le contrôle d’un groupe complexe. D’ailleurs, il est fort à parier que d’autres bâtisseurs français aient pris note des déboires du groupe Lagardère pour en tirer des leçons pour leurs groupes familiaux.
L’approche sérieuse d’Arnault et de Bolloré
Qu’ils aient été influencés par la chute du groupe Lagardère ou pas, Bernard Arnault et Vincent Bolloré, âgés de 75 et de 72 ans respectivement, ont adopté des approches radicalement différentes pour préparer leurs enfants à une transmission de pouvoir (potentielle).
Les deux hommes d’affaires ont impliqué leurs enfants beaucoup plus tôt dans les affaires du groupe, et cela de façon intensive. Quatre des cinq enfants de Bernard Arnault sont aujourd’hui au comité de direction de LVMH. Tous ont occupé de nombreuses fonctions différentes au sein de son empire, pour être formés par les meilleurs managers du groupe, et en apprendre le fonctionnement dans les moindres détails. Et cette formation continue. Ainsi,on raconte qu’un ou plusieurs enfants de Bernard Arnault accompagnent leur père lors qu’il effectue ses visites surprises dans un des magasins du groupe pendant le weekend.
La démarche au sein du clan Bolloré est très similaire. Yannick et Cyril Bolloré occupent aujourd’hui des postes importants au sein du groupe fondé par leur père.
Bref, les générations futures chez les Arnault et le Bolloré reprendront les rênes de leurs groupes respectifs après avoir été solidement préparées pour le faire. Cela ne veut pas dire qu’elles réussiront. Mais cela en augmente sans doute les chances.
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