Les marchés financiers semblent anticiper la fin du cycle de hausse des taux directeurs, notamment aux US. Cela signifierait en théorie que les banques centrales considèrent l’inflation maîtrisée. Mais de nombreux indicateurs laissent penser le contraire.
Les consommateurs… consomment
Les économistes l’avaient anticipé : après des confinements longs et stricts, les consommateurs se lâchent. Privés de coiffeurs, de restaurants et de voyages à l’étranger, ils se sont en effet “rattrapés” en dépensant beaucoup, une fois dé-confinés. Mais le rebond de la consommation, qui était censé être d’une courte durée, perdure. Il faut dire que les gouvernements, et notamment le gouvernement américain, avaient été particulièrement généreux durant la crise sanitaire, allant jusqu’à distribuer des chèques à la population pour soutenir la demande.
Sauf que l’augmentation persistante de la demande contribue à mettre de la pression sur les prix — et stimule donc l’inflation !
L’impact long de la hausse du prix de l’énergie
La guerre en Ukraine et les mesures de restriction sur le gaz naturel Russe ont provoqué une flambée des coûts énergétiques. Après avoir traversé l’hiver sans coupures, réduit notre consommation énergétique, et avoir rempli les réserves à ras bord, les prix sont retombés. Donc tout va bien ?
Prix du gaz naturel
Pas si vite. Car les contrats d’approvisionnement en énergie sont négociés pour des durées longues, typiquement plusieurs années. Un bon nombre de ces contrats ont été signés alors que le prix du gaz naturel était à son pic. Ce qui veut dire que plusieurs sociétés vont devoir pratiquer des prix élevés pendant encore longtemps. Avec des impacts en cascade.
Imaginez une fonderie d’aluminium, très consommatrice d’énergie, qui se serait engagée pour plusieurs années à payer son alimentation en électricité au prix fort. Elle va devoir vendre son métal plus cher au fabricant de voitures qui le lui achète. Qui à son tour va devoir revoir à la hausse le prix des véhicules qu’il produit.
Ce cycle illustre bien l’impact à long terme du prix de l’énergie sur l’inflation. Elle apparaît très vite, mais disparaît lentement.
La pression sur les salaires
Le taux de chômage a beaucoup baissé en France et c’est une bonne nouvelle. Dans plusieurs secteurs comme la restauration, l’hôtellerie, la santé ou la tech, il est tellement bas que ce sont les entreprises qui peinent à recruter.
Source : INSEE
Cela oblige les employeurs à offrir des rémunérations de plus en plus attractives, et conduit logiquement les syndicats à demander des hausses de salaire conséquentes. À date, ce facteur n’a que peu contribué aux pressions inflationnistes. Mais les nombreuses revendications dans le domaine laissent penser qu’il y contribuera dans le futur.
La dé-globalisation
L’ère de la délocalisation à outrance est finie. La crise sanitaire a démontré combien il était dangereux de produire uniquement en Chine pour vendre en Europe et aux États-Unis. Cette tendance est de toute façon renforcée par l’urgence climatique dont les consommateurs se soucient, et qui les pousse à consommer local. Enfin, les grandes entreprises mondiales se méfient du risque géopolitique, et favorisent la construction de nouvelles usines sur le sol national.
Cela contribue à la ré-industrialisation de l’Europe et des États-Unis. Mais cela entraîne aussi une augmentation des coûts de production, car elle repose dorénavant sur une main d'œuvre plus chère. Alors on s’épargne quelques frais de transport, mais au final, la dé-globalisation a un coût. Qui contribue de façon tendancielle à maintenir l’inflation à des niveaux plus élevés.
La transition énergétique
Elle est indiscutablement nécessaire et engagée. Certains diraient que cela ne va pas assez vite. Quoi qu’il en soit, la volonté politique d’accélérer la transition énergétique existe dans la plupart des grandes économies du monde, sous la pression d’une partie grandissante de la population.
Mais les efforts dans ce sens ont souvent un coût. L’agriculture sans pesticides est plus saine mais moins productive. Pour maintenir le salaire de l’agriculteur, il faudra qu’il vende ses produits bio plus chers.
Malgré d’immenses progrès technologiques dans le domaine, l’installation de panneaux solaires sans subventions de l’État reste prohibitivement chère. Produire un véhicule électrique coûte plus que de fabriquer une voiture à essence. Etc…
La conséquence : des marchés financiers volatils ?
Contenir l’inflation risque donc d’être plus difficile et de prendre plus de temps que prévu. Or, c’est la mission principale des banques centrales, qui n’hésiteront pas à poursuivre leurs politiques de hausse des taux tant que cet objectif n’est pas atteint. Ceci, y compris dans un scénario où ces hausses de taux conduisent à un ralentissement, voire à une récession économique.
Il nous semble que ce risque n’est actuellement pas pleinement perçu par les marchés financiers, plutôt porteurs depuis le début de l’année. Le secteur bancaire semble s’être stabilisé et les résultats des entreprises plus généralement sont variables, mais certainement pas désastreux.
Ce sentiment d’optimisme modéré pourrait néanmoins se fragiliser si la persistance de l’inflation se matérialise. Personne n’a de boule de cristal. Nous soulignons simplement que la maîtrise de l’inflation pourrait exiger plus d’efforts qu’anticipé. Et que ces efforts pourraient conduire à une instabilité persistante sur les marchés financiers. Dit autrement, à une hausse de la volatilité.
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