Avec des taux directeurs négatifs en Europe, un débat sur le retour éventuel de l'inflation peut faire sourire. Mais les plans de relance économique et l’anticipation de la sortie de crise font progressivement grimper le prix de certaines matières premières. Un retour de l’inflation est-il probable ? Et si oui, est-ce une mauvaise nouvelle ?
L’inflation : ennemi de l’épargnant
Quand on s’intéresse à l’épargne, on doit s’intéresser à l’inflation. Car dans le passé, les périodes d’inflation prononcée ont pesé lourdement sur les rendements réels (c’est-à-dire corrigés des effets de l’inflation) en provenance de placements en actions et en obligations.
Le rendement réel directement impacté
Pour deux raisons principales. Premièrement, quand le taux de l’inflation monte, le rendement réel de tout placement va proportionnellement souffrir. Si vous gagnez 2% par an sur un placement, mais que l’inflation est de 3%, vous perdez techniquement un point de pouvoir d’achat. Rendement réel = taux brut – taux d’inflation.
Un poids sur les obligations et les actions
Le second effet kiss cool est indirect, mais tout aussi vicieux. Pour rester bénéficiaire, un investisseur rationnel voudra recevoir des intérêts supérieurs au taux de l’inflation. Il exigera par exemple des États qu’ils émettent de la dette (Obligations d’États) à un taux plus élevé. Ce qui poussera les taux d’intérêts à la hausse et fera mécaniquement baisser les prix des obligations (nous rappelons que les prix des obligations fluctuent dans le sens inverse des taux).
Or le taux des obligations d’État à long terme joue un rôle crucial dans la valorisation des entreprises cotées. En effet, une approche de valorisation très populaire parmi les analystes financiers consiste à calculer la somme de leurs profits futurs. Plus ces profits sont lointains dans le temps, moins ils valent aujourd’hui. Pour faire l’ajustement, les financiers “actualisent” les profits futurs. Ce qui revient à les discounter à un taux… vous l’avez deviné, celui des obligations d’État à long terme. Donc plus celui-ci est élevé, plus la valeur actualisée des profits futurs diminue. Et si la valeur totale d’une société baisse, alors le cours de son action devrait en faire autant.
Donc, l’inflation ne ronge pas uniquement le pouvoir d’achat de votre argent qui dort sur les comptes bancaires non rémunérés. Une forte inflation pèsera également sur les marchés obligataires. Et comme les taux d'intérêts des obligations étatiques sont utilisés dans les calculs de valorisation de sociétés cotées, une forte hausse de l'inflation pèse, par extension, sur les marchés actions également.
Les premiers signes inflationnistes
L’injection massive d’argent stimule l’économie mondiale
Avec leurs plans de relance massifs, les gouvernements des grands pays industrialisés ont injecté d’importantes sommes d’argent pour soutenir l’économie mondiale durant la crise sanitaire. En usant d’un vaste arsenal de moyens, allant du financement direct d’une majeure partie des salaires des entreprises à l’arrêt, comme en France, jusqu’à la distribution directe de chèques aux foyers, comme aux États-Unis. Cela a permis aux entreprises comme aux consommateurs de continuer à faire tourner l’économie. Aujourd’hui, les épisodes successifs de confinement et les campagnes de vaccination commencent à porter leurs fruits (Chine, Israël, États-Unis par exemple).
Et les banques centrales ont annoncé qu’elles maintiendraient leurs politiques monétaires accommodantes pour les trimestres à venir. L’objectif principal restant d’assurer une relance durable de l’économie mondiale. Les pressions inflationnistes potentielles sont donc reléguées au second plan.
Les matières premières donnent le ton
Vous vous souvenez de cette courte période de l’année dernière où les prix du pétrole avaient tellement baissé qu’il était possible de se faire livrer gratuituitement des barils à une date future, tellement le marché était innondé par l’offre ? Si le prix du baril était d’environ 20 dollars en avril dernier, il dépasse aujourd’hui 60 dollars, principalement du fait de la forte reprise de la demande chinoise. Et ce prix pourrait dépasser les 100 dollars d’ici la fin de l’année selon la banque JP Morgan.
Le prix de différents métaux s’envole également pour les mêmes raisons. Prenons le cuivre par exemple. À la tonne, il dépasse 9 100 dollars, en hausse de plus de 90% depuis mars dernier et un plus haut depuis 8 ans. Il en est de même pour certaines céréales.
Or, si les matières premières coûtent plus chers aux secteurs qui en dépendent pour leur activité (le transport, la construction, l’automobile, mais aussi les semi-conducteurs et l’alimentaire), les acteurs dans ces segments devront répercuter cette hausse de leurs coûts de production, dans celui des produits et des services qu’ils produisent. Et quand les produits coûtent plus cher, on appelle cela… de l’inflation !
Les anticipations d’inflation revues à la hausse
Du coup, les prévisions sur l’inflation sont parties à la hausse. En octobre dernier, le Fonds Monétaire International prévoyait un doublement de l’inflation de 0,8% en 2020 à 1,6% en 2021 pour les économies avancées. Citigroup estime depuis que l’inflation mondiale atteindra 2,3% cette année.
Aux États-Unis ce phénomène est particulièrement remarquable. En janvier, l’inflation n’était “que” de 1,4%. Mais la hausse des prix de l’électricité et des denrées alimentaires ont poussé les consommateurs à anticiper 3,3% dans les 12 mois à venir, selon une étude très suivie de l’université du Michigan.
Comment se protéger contre l’inflation ?
Ce sujet mériterait un article à lui tout seul. Mais de façon générale, tout investissement dont la rémunération est indexée à l’inflation offre une bonne protection contre sa hausse. On peut penser à l’immobiliers (via les loyers), ou encore aux obligations d’État dont la rémunération est variable et indexée sur l’inflation. L’or est également souvent cité dans ce contexte comme une valeur refuge, car son prix a tendance à augmenter avec l’inflation. Enfin citons les matières premières, dans lesquelles un épargnant peut difficilement investir en direct (pas facile de stocker des barils de pétrole ou des tonnes de fer chez soi), mais qui sont accessibles indirectement via des fonds dédiés.
Faut-il paniquer et vendre ses actions et obligations ?
Certainement pas. D’abord, il n’est jamais bon de réagir de façon trop émotive en matière d’investissement.
Mais surtout, tout ce qui précède ne s’applique qu’en cas d’une remontée significative et durable de l’inflation. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Le scénario d’une remontée modérée et progressive de l’inflation constitue — historiquement — un contexte plutôt favorable aux marchés actions ! En effet, ce scénario est généralement synonyme d’une reprise de la demande, et donc de perspectives de débouchés pour les entreprises.
Les taux d’intérêts à des niveaux historiquement bas
Oui, les taux longs ont commencé à remonter, un peu, aux Etat-Unis. De 0,52% en avril dernier, le taux à 10 ans a dépassé 1,40% la semaine dernière. Nous sommes toujours loin du taux de 2% que la Fed vise officiellement comme le taux d’inflation cible. Et cette hausse du taux semble parfaitement logique si on le compare aux 4,8% de croissance attendue pour l’économie américaine en 2021 (alors que les analystes ne s’attendaient qu’à 3,9% en janvier).
Donc nous partons d’un niveau historiquement bas, et la hausse récente des taux longs reste raisonnable, même si elle a surpris bon nombre d'intervenants depuis le début de l'année.
La hausse des taux expliquée par une économie en plein rebond
Surtout que cette hausse s’explique par un rebond de l’économie américaine. Le plan de relance Biden (qui propose l’injection de 1,9 trilliard de dollars de soutien financier supplémentaire), le programme de vaccination massif qui commence à faire sentir ses effets et une remontée des embauches et de la confiance des ménages font espérer que ce rebond puisse s’installer dans le temps. Et devrait par la suite donner lieu à une hausse des revenus et des profits des entreprises. Un phénomène que les investisseurs en action adorent.
En conclusion, quelques signes inflationnistes que nous n’avions pas pu observer depuis des années ont réapparu récemment. Sans surprises, cela fait craindre l’impact qu’une forte hausse de l’inflation pourrait avoir sur les investissements. Mais il est trop tôt pour tirer des conclusions dans un sens ou dans un autre, car, statistiquement, un peu d’inflation est favorable à la croissance économique, et donc favorable à la plupart des solutions d’épargne longue.
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