En toute transparence, cet article est inspiré d’un éditorial de Mohamed El-Erian, publié dans le Financial Times, dans lequel cet investisseur très expérimenté explique pourquoi l’investissement passif pourrait être moins efficace dans les années à venir. Il nous semblait pertinent de partager son point de vue ici.
Petit rappel sur l’investissement passif
Répliquer des indices boursiers
Avant d’en faire la critique, revenons brièvement sur ce qu’est l’investissement passif. Au sens le plus large, il s’agit d’un placement pour lequel l’épargnant n’est pas activement impliqué dans le choix des supports. Il délègue la gestion de son investissement à un tiers, qui s’en occupe pour lui. Ces 20 dernières années l’expression “investissement passif” a surtout fait référence aux placements dans des fonds qui répliquent la performance d’indices boursiers. Ensemble, ces fonds sont connus sous le terme un peu technique d’ETF, pour Exchange Traded Fund. On les appelle aussi “trackers”.
Ainsi le fonds ETF S&P 500 a pour objectif de suivre au plus près (de “tracker”) la performance des 500 actions qui, ensemble, composent l’indice américain. Pour fonctionner, ce fond repose sur des algorithmes complexes, capables de suivre en temps réel l’évolution des cours de toutes les actions de l’indice. Les opérations d’achat et de vente d’actions se font automatiquement en fonction de l’évolution de l’indice. Nul besoin d’asset managers chevronnés pour faire du copier-coller.
Les avantages de l’investissement passif
Les trackers sont donc typiquement proposés à des frais de gestion réduits et sont accessibles pour des montants modestes. Leur promesse est simple : délivrer la même performance que l’indice visé.
Les ETF sont aussi intéressants car ils simplifient quelque chose de très complexe pour l’investisseur individuel. Pour répliquer un indice “à la main”, celui-ci devrait 1. disposer de liquidités suffisantes pour pouvoir acheter toutes les actions entrant dans l’indice (une action LVMH vaut environ 800 euros, celle de l’Oréal un peu moins de 400 euros), et 2. passer son temps à faire des ajustements pour suivre les évolutions de l’indice. Cela générerait au passage des frais de transactions importants, qui rongeraient une partie conséquente de sa performance.
Plus séduisant encore : il s’avère que dans la pratique, peu de gestionnaires experts arrivent à battre ces indices via leurs stratégies dites “actives”, en sélectionnant les valeurs qui, selon eux, vont sur-performer. Ce nombre se réduit encore plus lorsqu’on évalue leurs performances (vs. indice de référence) sur des durées longues.
Les fonds passifs bientôt plus importants en volume que les fonds actifs
Sans surprise, les ETF sont donc devenus de plus en plus populaires. La croissance du secteur de l’investissement passif se poursuit d’ailleurs aujourd’hui. Selon Morningstar, aux États-Unis, les investisseurs ont retiré 258 milliards de Dollars de fonds “actifs” en moyenne, par année, depuis 2015. Sur la même période, ils ont contribué à hauteur de 138 milliards de dollars par an en moyenne aux fonds “passifs”.
En suivant cette tendance, l’ISS Market Intelligence estime qu’en 2027, les fonds indiciels passifs représenteront plus de la moitié du total des actifs investis à long terme aux US !
À la défense de l’investissement actif
Revenons à notre introduction. Pourquoi est-ce que Mohamed El-Erian — ancien patron des investissements chez Pimco (le plus gros gestionnaire de fonds obligataire au monde) et actuel président de Queens College à l’Université de Cambridge — suggère-t-il que l’investissement actif pourrait reprendre des couleurs ? Pour lui, plusieurs facteurs sont à prendre en compte.
L’appétit pour l’investissement passif a poussé le secteur trop loin
En réponse à une demande croissante pour l’investissement passif, les gestionnaires d’actifs ont naturellement réagi en se jetant sur l’opportunité. Il y en a aujourd’hui pour tous les goûts : des fonds passifs sur des secteurs très spécialisés, plus ou moins liquides, et plus ou moins risqués.
Or en proposant de “tracker” des indices comme celui de l’industrie des “drogues douces” ou de ‘’l’immobilier commercial aux US”, composés d’une dizaine de valeurs côtés, on expose l’investisseur à des réels risques de concentration, de fluctuations potentiellement violentes de prix et même de défaut. Il n’est pas certain que l’investissement passif, souvent décrit comme moins volatil et plutôt prudent, soit adapté à ce niveau de granularité.
L’ère du “tout monte” n’est plus
Mais la véritable raison pour laquelle il faut s’intéresser de nouveau à la gestion active réside dans le changement fondamental de l’environnement de marché.
Selon Mohamed El-Erian (et nous sommes d’accord avec lui !), la gestion passive est particulièrement efficace dans un monde où la performance des investissements est très dépendante d’un seul facteur global. Ce fut le cas pendant plus d’une décennie, pendant laquelle les taux d’intérêts étaient nuls ou quasi-nuls et l’injection de liquidités par les banques centrales ont poussé l’ensemble des classes d’actifs à la hausse.
Que ce soit les obligations en provenance de sociétés financièrement instables et de pays émergents au bord de la banqueroute, les actions de jeunes pousses technologiques très déficitaires, ou encore des crypto-devises aux noms exotiques, les valorisations ne faisaient que monter.
Dans cet environnement, la corrélation (c’est-à-dire l’interdépendance) entre classes d’actifs différents, comme par exemple les actions et les obligations, atteignait des niveaux historiquement élevés. La marée montante élevait réellement tous les navires.
Dans ce contexte, il n’y pas besoin de faire beaucoup d'efforts pour sélectionner des placements individuels. Ce qui favorise, par construction, l’investissement passif, surtout lorsqu'on prend en compte leurs frais moins élevés.
L’incertitude comme seule certitude
Mais ces facteurs communs globaux — taux d’intérêts nuls et une liquidité abondante — ne sont plus d’actualité. Le retour, puis la forte hausse de l’inflation a poussé les banques centrales à faire des augmentations importantes des taux directeurs à plusieurs reprises. Dans le même temps, à retirer une partie des liquidités injectées avec enthousiasme il y a quelques années. Cela provoque naturellement un freinage économique, dont l’ampleur est encore difficile à estimer aujourd’hui.
Ce contexte incertain rend l’évolution des marchés financiers beaucoup plus complexe à lire. Surtout quand on y ajoute les quelques changements structurels profonds en cours, comme l’innovation technologique, le risque climatique, la transition énergétique, et l’ajustement dans les chaînes d’approvisionnements. Si l’on prend en compte les considérations géopolitiques telles que la guerre en Ukraine, les menaces chinoises envers Taiwan et l’instabilité en Iran, l’équation est encore plus difficile à lire.
Concrètement, l’environnement actuel provoque deux phénomènes de marché : dispersion et volatilité.
Des gagnants et des perdants (la dispersion)
Dans les trimestres et années à venir nous verrons des secteurs qui résisteront à (ou qui profiteront de) la tempête, là où d’autres souffriront grandement. Ainsi, les sociétés pétrolières mais aussi le luxe ont déjà tiré leur épingle du jeu, alors que la tech a très fortement corrigé.
De façon plus granulaire au sein d’un même secteur, certaines sociétés émergeront plus fortes qu’avant, là où d’autres perdront des parts de marché, voire disparaîtront. Dans le secteur de l’automobile par exemple, le combat entre Tesla et les grands fabricants traditionnels sur le segment de la voiture électrique est maintenant pleinement engagé… et le ou les gagnants demeurent, à ce stade, inconnus. En revanche, ce qui est certain, c’est qu’il y aura des perdants.
Des mouvements de marché violents (la volatilité)
Dans un monde incertain, des mouvements de prix plus marqués, voire exagérés, seront plus courants.
En avril dernier par exemple, le cours de bourse de Netflix a perdu 35% en une journée, lorsque la société de streaming a annoncé avoir perdu des abonnés lors du trimestre précédent pour la première fois dans son histoire.
Inversement, l’action de Tesla a bondi de plus de 10% le 26 janvier 2023, à l’annonce de résultats meilleurs qu’attendu et sur la base de la confiance que son PDG fondateur Elon Musk a exprimé sur les perspectives de croissance de la société.
Un regain de faveur pour la gestion “active” et le stock-picking
Dans un tel contexte, une plus grande sélectivité dans les investissements et une approche plus dynamique peuvent être payants, et délivrer une performance bien supérieure à celle des indices.
Savoir choisir les secteurs les plus performants, et au sein de ces secteurs, les meilleurs acteurs délivrera sans doute de meilleurs résultats que de simplement répliquer l’indice actions monde. Aussi, la capacité à réagir vite aux conditions de marché (chose que les algorithmes font mal), permettra sans doute de générer de belles opportunités.
Dit autrement, pour maximiser son rendement dans les années à venir, il ne suffira plus de se laisser porter, il faudra faire des choix. Les Anglosaxons appellent cela le “stock-picking”.
C’est évidemment plus facilement à dire qu’à faire. Possédez-vous l’expérience nécessaire et disposez-vous du temps requis pour faire cette sélection ? Pour beaucoup de monde, c’est difficile.
Nous ne sommes donc pas “contre” l’investissement passif. Mais il faut reconnaître que dans un environnement de marché où l’incertitude règne, la gestion active pourrait reprendre du galon, et — si elle est bien exécutée — s’avérer payante.
Si l’aventure vous tente, la bonne nouvelle est qu’il existe de nombreux fonds gérés activement par des gestionnaires professionnels. L’appli Cashbee en propose un certain nombre, via une gamme lisible, classée par thème et adaptée au profil de risque de chacun.
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